Droits LGBTQI+ en Tunisie: entre lois répressives et parole libérée

Ahmed Hamila a organisé en septembre 2022 la toute première conférence internationale en lien avec les enjeux LGBTQI+ en Tunisie.

Ahmed Hamila a organisé en septembre 2022 la toute première conférence internationale en lien avec les enjeux LGBTQI+ en Tunisie.

En 5 secondes

Un professeur de sociologie de l’UdeM étudie les enjeux touchant la communauté LGBTQI+ en Tunisie et travaille pour faire rayonner ses défis, ses espoirs et ses luttes.

Ahmed Hamila

Ahmed Hamila

Crédit : UdeM international

La situation des personnes de la communauté LGBTQI+ en Tunisie est paradoxale.

D’une part, l’article 230 du Code pénal tunisien criminalise les relations consensuelles entre personnes de même sexe (jusqu’à trois ans de prison). D’autre part, plusieurs associations militant pour les droits LGBTQI+ sont légalement enregistrées et officiellement reconnues par l’État.

Ahmed Hamila, professeur au Département de sociologie de l’Université de Montréal et spécialiste des migrations internationales, des enjeux de genres et de sexualités et des solidarités transnationales, a décidé d’exploiter cette dichotomie.

Avec des collègues de l’Université libre de Bruxelles et de l’Institut de recherche sur le Maghreb contemporain à Tunis, et en collaboration avec l’association tunisienne Mawjoudin, il a organisé en septembre 2022 la toute première conférence internationale en lien avec les enjeux LGBTQI+ en Tunisie. Intitulé «Solidarités transnationales et politiques queers mondiales», cet évènement visait à mettre en relation les acteurs des milieux de l'enseignement et de la recherche et les activistes sur le terrain.


Produire des savoirs, une vidéo à la fois

Cette rencontre a donné naissance à cinq capsules vidéos qui mettent en lumière et vulgarisent des enjeux concernant la communauté LGBTQI+ en Tunisie, mais également celles ailleurs dans les pays du Sud. Plusieurs sujets sont ainsi abordés: la construction et les formes que prend la solidarité transnationale LGBTQI+ aujourd’hui et les limites qui lui sont inhérentes, les rapports de pouvoir inégaux découlant du passé colonial dans ce contexte et les enjeux liés aux frontières et aux migrations des personnes LGBTQI+.

Offertes en français et en arabe, ces capsules sont pensées pour être accessibles et largement diffusées en Tunisie, mais aussi au sein des mouvements LGBTQI+ d’autres pays francophones et arabophones.

«On entend souvent que la situation des personnes LGBTQI+ est homogène dans les pays du Sud et surtout qu’elle est catastrophique, note Ahmed Hamila. Mais avec ces capsules, nous souhaitions montrer qu’il est important de faire preuve de plus de nuance. Au-delà de la criminalisation de l’homosexualité et des exactions commises à l’encontre des communautés LGBTQI+, plusieurs groupes s’organisent, militent et luttent pour les droits des personnes de ces communautés. Leur résilience et leur travail sont souvent invisibilisés. Nous avons souhaité y remédier en faisant rayonner leurs expertises, leurs expériences et leurs engagements.»

Des thèmes complexes et nécessaires

Les sujets discutés dans la conférence et véhiculés dans les capsules témoignent d’une réalité aux ramifications multiples. Par exemple, une vidéo revient sur les formes de mobilisation LGBTQI+ en Tunisie, notamment depuis la révolution de 2011. Une autre présente l’«artivisme», soit l’expression artistique comme moyen de sensibilisation et d’engagement social.

Fort de son expertise sur les politiques d’asile liées à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre, Ahmed Hamila intervient notamment dans la capsule consacrée aux migrations et aux sexualités. Il rappelle qu’il n’est pas rare que les personnes LGBTQI+ quittent leur pays en raison de violences hétéronormatives et cisnormatives, souvent accentuées par des violences politiques, la dictature ou encore la guerre.

«Si plusieurs pays, comme le Canada, reconnaissent les persécutions liées à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre comme motif d’octroi du statut de réfugié, le parcours migratoire des personnes LGBTQI+ est tout de même souvent semé d’embûches, ajoute-t-il. De nouveaux défis peuvent se poser une fois qu’elles ont quitté leur pays, liés à la régularisation de leur statut migratoire, mais aussi à l’accès à différents services sociaux.»

Des questions actuelles à creuser

Pour le professeur, il est essentiel de partager et d’approfondir ces enjeux. Surtout si l’on considère que le président tunisien Kaïs Saïed, porté au pouvoir en 2019, tend à resserrer l’étau sur la communauté plutôt qu’à favoriser son émancipation.

Par exemple, en février, Human Rights Watch révélait que des responsables gouvernementaux tunisiens avaient fouillé illégalement les téléphones de personnes LGBTQI+, de force ou sous la menace de la force, pour recueillir des informations personnelles, voire en fabriquer, afin d’intenter des poursuites arbitraires.

Ahmed Hamila continue ses recherches grâce à deux subventions récemment obtenues: une du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada afin d’étudier les solidarités transnationales LGBTQI+ selon une perspective décoloniale et une autre du Fonds de recherche du Québec – Société et culture pour pousser plus avant ses travaux sur le parcours migratoire des personnes LGBTQI+.

Pour regarder l’ensemble des vidéos

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