Une histoire de partage des savoirs, de pérennité des collections, d’amour de la langue et des dictionnaires en particulier

Monique Cormier

Monique Cormier

Crédit : Rémy Boily

En 5 secondes

En ce début de Francofête, voici un entretien avec la métalexicographe Monique Cormier sur le don de sa collection de livres anciens aux Bibliothèques de l’UdeM.

Pourquoi une collectionneuse ferait-elle don de ses ouvrages rassemblés pièce par pièce au fil des ans? Pour Monique Cormier, professeure au Département de linguistique et de traduction de l’Université de Montréal, au-delà de la valeur des documents ou de leur nombre, collectionner était avant tout un travail de composition et de sélection.

«Le bonheur du collectionneur, c’est d’arriver à réunir un ensemble d’ouvrages qui ont une cohérence. Dans mon cas, il s’agissait de mon objet de recherche: le dictionnaire d’Abel Boyer [The Royal Dictionary. In Two Parts. First, French and English. Secondly, English and French], publié en 1699. Tout ce qui a tourné autour de cette époque, notamment les dictionnaires qu’Abel Boyer a pu avoir entre les mains, j’ai tenté de le reconstituer. Et comme une collection n’existe plus à partir du moment où elle commence à être disséminée, j’ai souhaité qu’elle reste entière… J’aurais pu décider de me départir des livres un à un, mais à ce moment-là la collection n’aurait plus existé en tant que telle», explique la professeure.

Ce n’est donc pas par désintérêt de sa collection qu’elle la donne, mais dans une optique de conservation et de partage. Et surtout, la donner, ce n’est pas pour elle la perdre, «au contraire! Une collection existe tant qu’elle a un sens, une cohérence. Avec les autres ouvrages qui sont déjà aux collections spéciales, la mienne s’insère dans un tout qui devient intéressant pour les autres chercheurs et chercheuses».

Monique Cormier en a elle-même fait l’expérience durant sa longue carrière. «Comme chercheuse, j’ai eu l’honneur d’être deux fois lauréate du Warren N. Cordell Research Fellowship de l’Université d’État d’Indiana. J’ai ainsi pu consulter une collection absolument incroyable de dictionnaires anciens, donnée à la bibliothèque par un diplômé de cette université, raconte-t-elle. Les trésors que j’ai pu y trouver, les émotions que j’ai pu ressentir m’ont sensibilisée à l’idée du don de ma propre collection. Je voulais pouvoir faire la même chose à l’Université de Montréal.»

Le choix de confier sa collection à l’équipe de la Bibliothèque des livres rares et collections spéciales était tout naturel. «La Bibliothèque a toujours été un lieu que j’affectionne», dit Monique Cormier. Elle a d’ailleurs maintes fois fait appel aux collections spéciales de l’UdeM pour ses travaux et a constitué sa propre collection en complémentarité avec celles de son alma mater.

«Ce que j’ai réuni va le rester et sera encore mieux protégé grâce à toutes les mesures qui sont prises, comme l’humidité contrôlée des lieux de conservation, ce que je ne peux pas faire en tant que particulier. Je pense que tout le monde est gagnant – l’Université et moi comme collectionneuse. À partir du moment où ma collection est à la Bibliothèque des livres rares et collections spéciales, je suis en paix», mentionne-t-elle.

Confier une collection à l’UdeM

«J’ai commencé mes études à l’UdeM à 18 ans et mon premier emploi d’étudiante a été à la Bibliothèque des lettres et sciences humaines, souligne Monique Cormier. Il y a quelque chose de symbolique pour moi dans le don de ma collection aux Bibliothèques de l’Université à la fin de ma carrière, c’est un juste retour des choses, une façon de boucler la boucle.»

Un choix conforté par l’accompagnement de l’équipe des Bibliothèques. «J’ai reçu un excellent accueil et j’ai été très bien guidée», déclare-t-elle. Et cela, compte tenu du travail que représente l’inventaire de la collection et son déplacement, avec le soutien d’Éric Bouchard, bibliothécaire aux livres rares et collections spéciales.

Cette collaboration se poursuit, car une première rencontre a déjà eu lieu pour organiser une exposition de certains des ouvrages du tout nouveau Fonds Monique Cormier de la Bibliothèque des livres rares et collections spéciales de l’UdeM.

En parler pour sensibiliser… et influencer?

En pleine campagne philanthropique de l’Université de Montréal, Monique Cormier souhaitait faire part de son expérience de donatrice pour «sensibiliser mes collègues du corps professoral à l’importance du don, qui peut se manifester par exemple par le don d’ouvrages anciens. Je suis convaincue, affirme-t-elle, que je ne suis pas la seule à l’Université à avoir une collection de livres anciens réunis tout au long d’une carrière».

Ainsi espère-t-elle que d’autres pourront profiter de ces ouvrages, les siens et ceux d’autres collections. Comme elle le rappelle, même si aujourd’hui le numérique permet d’avoir accès à des livres anciens sur un autre support, la matérialité des documents étudiés reste très importante pour l’analyse de ces documents et la compréhension du passé.

À propos du Fonds Monique Cormier

Outre plusieurs dictionnaires des 17e et 18e siècles utilisés pour ses recherches, ainsi qu’un exemplaire des Remarques sur la langue françoise de Vaugelas (1647), la collection constituée par Monique Cormier comprend certains ouvrages achetés par amour des livres anciens, comme un exemplaire du Médecin malgré-luy de Molière, daté de 1683, dans un joli boîtier de conservation.

On y trouve également un sous-ensemble plus personnel, ouvrages du lexicographe Alain Rey. «Alain Rey est pour moi l’un des plus grands lexicographes du 20e siècle. Notre université lui a d’ailleurs décerné un doctorat honorifique en 2008. Il m’a dédicacé un certain nombre de livres au fil du temps, lui qui avait été membre de mon jury de thèse à la Sorbonne. Je suis restée en contact avec lui jusqu’à son décès», dit-elle.

Elle poursuit: «Par ailleurs, parlant de dédicaces, je me souviens de l’émotion ressentie en Indiana en consultant l’édition de 1593 du dictionnaire de Claudius Holyband et en y voyant la signature de Randle Cotgrave, auteur d’un des premiers dictionnaires français-anglais, en 1611. Qui sait si une lectrice ou un lecteur découvrant dans une centaine d’années la signature d’Alain Rey dans un ouvrage ne sera pas aussi ému que je l’ai été…?»

Le Fonds Monique Cormier est en cours de traitement et déjà accessible en partie sur Sofia. L’exposition sera présentée à l’automne.

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