Guy Rocher: le professeur tribun
- UdeMNouvelles
Le 16 avril 2024
- Martin LaSalle
Professeur, collègue ou mentor: ceux et celles qui ont côtoyé Guy Rocher se souviennent du modèle qu’il a incarné durant son séjour de près de 60 ans à l’Université de Montréal.
Professeur émérite de l'Université de Montréal, Guy Rocher, qui célébrera son 100e anniversaire le 20 avril, a formé plusieurs générations de sociologues et incité un grand nombre de chercheuses et de chercheurs à poursuivre des études dans ce domaine.
Un cours populaire qui a orienté des carrières
Son fameux cours Introduction à la sociologie générale aura orienté la carrière de nombreuses personnes.
C’est notamment le cas de Céline Saint-Pierre, qui a amorcé ses études au Département de sociologie de l’UdeM en 1960.
«Ce cours était extraordinaire dans son contenu et par sa pédagogie stimulante, se remémore-t-elle. M. Rocher savait nous transmettre sa passion de la sociologie tout en présentant beaucoup d’informations sur les différents courants de cette discipline. Il avait une grande capacité de communication et faisait preuve d’une clarté d’expression exemplaire: c’est le meilleur cours que j’ai eu.»
Et des cours, Céline Saint-Pierre en a suivi plusieurs durant ses trois années d’études. Après avoir terminé sa maîtrise en sociologie à l’UdeM, elle a entamé en 1963 un doctorat à l’École pratique des hautes études à Paris, sous la direction du réputé sociologue Alain Touraine.
Deux ans plus tard, Guy Rocher la contacte et lui demande de revenir à Montréal. Il lui propose un poste de chargée d’enseignement et d’être son assistante dans son cours d’introduction. Elle accepte ce mandat de trois ans, à la condition de pouvoir retourner en France pour finir son doctorat par la suite.
«Lorsque j’ai eu Guy Rocher comme professeur, nous étions environ 75 étudiants dans son cours, mais en 1965, les inscriptions explosent et plus de 150 à 200 personnes par session vont suivre le cours. C’était tout un défi pour moi de me retrouver en face d’un grand auditoire», illustre Céline Saint-Pierre, qui à l’époque n’avait que 24 ans!
«Les étudiants de toutes les disciplines de la Faculté des sciences sociales [aujourd’hui la Faculté des arts et des sciences] devaient suivre ce cours et tous exprimeront leur grande appréciation du cours et du professeur Rocher. En 1965-1966, il était d’autant plus connu qu’il était membre de la commission Parent sur l’éducation, poursuit-elle. Il donnait un cours magistral et je me chargeais des travaux pratiques, des séminaires et parfois des grands exposés.»
Comme prévu, Céline Saint-Pierre retourne à Paris en 1968 pour terminer ses études doctorales. Mais la même année, le gouvernement québécois crée l’Université du Québec à Montréal, qui recrute des professeurs pour la session d’automne 1969. Elle rompt son contrat avec l’UdeM et obtient un poste de professeure de sociologie. En 1992, elle devient vice-rectrice pour un mandat de cinq ans et suivra les traces de celui qu’elle considère comme son mentor en acceptant de présider le Conseil supérieur de l’éducation, de 1997 à 2002.
«Guy Rocher a été mon modèle et mon inspiration dans ma trajectoire de professeure, conclut-elle, c’est lui qui a définitivement orienté mon choix de mener une carrière universitaire pouvant intégrer le service public.»
Un professeur d’une grande ouverture d’esprit
Professeur émérite du Département de sociologie de l’UdeM, Marcel Fournier a aussi été l’étudiant de Guy Rocher au début de ses études, en 1967. Pas moins de 150 étudiants suivaient le cours de Guy Rocher, assisté à l’époque de Céline Saint-Pierre.
«Guy Rocher demeure, pour notre cohorte, le meilleur professeur que nous avons eu tant par son éloquence que par sa pédagogie, témoigne Marcel Fournier. Nous étions parmi les premiers à entendre parler de rôle, de statut, de mobilité sociale… C’était l’époque où il traitait des questions qui allaient se retrouver dans son livre Introduction à la sociologie générale, dont les trois tomes ont été publiés dans les années suivantes.»
Si le professeur Rocher «n’était pas là souvent en raison de ses engagements pour expliquer les recommandations du rapport Parent», il a néanmoins constitué pour Marcel Fournier «un modèle de rigueur intellectuelle tant sur le plan de la réflexion théorique – il nous initiait à Marx, Durkheim, Weber, etc. – que sur celui de la recherche empirique: Guy Rocher est un intellectuel phare!»
À cet égard, Marcel Fournier rappelle l’époque où Guy Rocher a participé aux débats sur la sociologie à travers différentes revues scientifiques. «Fernand Dumont et lui ont élaboré une sociologie de la société québécoise, ce qui fut très important, car cela a permis d’autonomiser cette discipline en plus d'insuffler un vent de progressisme sur une société dite traditionnelle», souligne-t-il.
Un sociologue artisan du changement
C’est par le livre Introduction à la sociologie générale que Jacques Hamel, également professeur émérite du Département de sociologie de l'Université, a «fait la connaissance» de Guy Rocher en 1974, alors qu’il était cégépien.
Et bien que la lecture de ce livre ne soit plus obligatoire, il demeure une référence. «Pour preuve, je cassais la croûte récemment avec un jeune professeur de sociologie du Cégep du Vieux Montréal que j’ai dirigé au doctorat et il me disait que ses étudiants n’évoquent qu’un seul nom lorsqu’ils parlent de sociologie: celui de Guy Rocher! Il incarne la sociologie aujourd’hui et depuis longtemps», raconte-t-il.
«Guy Rocher est le seul professeur que je connaisse qui recevait des applaudissements à la fin de ses cours, observe Jacques Hamel. Sa réputation le précédait: il était un excellent pédagogue, extrêmement rigoureux et précis.»
Jacques Hamel retient aussi de Guy Rocher qu’il a été «un intellectuel qui a eu une influence et un pouvoir politiques: il voulait bousculer l’ordre établi».
«Personne n’a autant réfléchi que lui au développement de la société québécoise, soutient-il. Il a pris part à la commission Parent et contribué à la réforme du système de l’éducation. Mais ce fut aussi l’avènement d’une nouvelle conception de la sociologie du Québec, qui est passé d’une société canadienne-française [dominée par le clergé] à une nation québécoise à travers la laïcisation de l’éducation, ce qui a mené à une culture commune.»
Jacques Hamel conclut en disant que «Guy Rocher a toujours été en phase avec la société québécoise, notamment lors de l’adoption de la loi 101, qui a fait du français la langue officielle du Québec, et même jusqu’à récemment: il avait 95 ans lorsqu’il a participé aux audiences sur le projet de loi 21 sur la laïcité».
En savoir plus
Deux autres textes ont paru sur le même sujet. Cliquez sur les hyperliens pour les consulter: Guy Rocher: un sociologue parmi les juristes et L’idéal démocratique de Guy Rocher, le «sociologue dans la cité» qui célèbre ses 100 ans!