La psychiatrie tout terrain

Crédit : Joëlle Simard-Lapointe

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Devant la difficulté du système à répondre aux besoins en santé mentale, des équipes psychiatriques ont mis sur pied des programmes novateurs de proximité. Bienvenue dans la psychiatrie du 21e siècle!

La Dre Lison Gagné, professeure de clinique au Département de psychiatrie et d’addictologie de l’UdeM et cofondatrice du service de psychiatrie urbaine de l’Hôpital Notre-Dame

La Dre Lison Gagné, professeure de clinique au Département de psychiatrie et d’addictologie de l’UdeM et cofondatrice du service de psychiatrie urbaine de l’Hôpital Notre-Dame

Crédit : Joëlle Simard-Lapointe

Il y a un proverbe qui dit Si la montagne ne va pas à toi, va à la montagne.  

C’est sans doute celui qui illustre le mieux l’approche proactive adoptée par des psychiatres bien décidés à surmonter la rigidité du système de santé pour prodiguer de meilleurs soins aux personnes en proie à des troubles psychotiques. 

«Nous avons mis nos forces en commun pour sortir de l’hôpital et créer des services mobiles de proximité parce que nos services courants répondaient mal aux besoins d’une clientèle essentiellement défavorisée et désaffiliée», explique d’entrée de jeu la Dre Lison Gagné, professeure de clinique au Département de psychiatrie et d’addictologie de l’Université de Montréal et cofondatrice du service de psychiatrie urbaine de l’Hôpital Notre-Dame, à Montréal.  

«Plusieurs personnes que nous avons aidées sont passées d'une situation d'extrême précarité à une réinsertion dans la société», se réjouit celle qui copilote le Programme de réaffiliation en itinérance et santé mentale (PRISM).

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La psychiatrie de proximité
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La Dre Marianne Genest, professeure adjointe de clinique au Département de psychiatrie et d’addictologie de l’UdeM et chef de la psychiatrie urbaine au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l’Île-de-Mon

La Dre Marianne Genest, professeure adjointe de clinique au Département de psychiatrie et d’addictologie de l’UdeM et chef de la psychiatrie urbaine au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal

Crédit : Joëlle Simard-Lapointe

Créé il y a 10 ans, ce service de psychiatrie urbaine, unique au Québec, est devenu une véritable figure de proue en matière de développement des services de proximité en santé mentale. Aujourd’hui, les personnes en crise n’ont plus forcément à se déplacer jusqu’à l’urgence d’un hôpital de la métropole: ce sont les équipes de psychiatrie qui vont à leur rencontre. 

«L'hospitalisation en psychiatrie est un modèle stressant, axé sur la sécurité et la réduction des symptômes, et non sur un projet de vie. Nos services mobiles de proximité prennent en charge les personnes à un stade beaucoup plus précoce de la maladie, alors qu’il est encore temps de préserver leur emploi, leur logement, leur santé physique et leurs relations familiales», expose le psychiatre Olivier Farmer, professeur de clinique au Département de psychiatrie et d’addictologie de l’UdeM et cofondateur du service de psychiatrie urbaine de l’Hôpital Notre-Dame. 

Cette pratique proche des gens, qu’il qualifie de psychiatrie du 21e siècle, est la preuve que la discipline n’a pas à se cantonner à l'hôpital, comme il l’enseigne aux futurs médecins. «C’est souvent plus efficace de mener une entrevue à la maison avec la famille dans les phases initiales d'une crise ou après un bref séjour à l'urgence. On peut planifier un retour rapide à la maison, travailler sur le maintien du logement et de l'emploi», observe celui qui passe une journée et demie à l’Hôpital et le reste du temps sur le terrain. 

Bien sûr, l’hospitalisation demeure nécessaire dans certains cas, par exemple lorsque la personne est agitée ou représente une menace. «Mais la plupart du temps, les gens n’ont pas besoin des quatre murs de l'hôpital et de soins 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Ils ont juste besoin de beaucoup de services et de supervision pour la prise de médicaments, des signes vitaux, les prises de sang, les injections. L’hospitalisation à domicile leur permet de voir un médecin une fois par semaine et des infirmières tous les jours», souligne la Dre Marianne Genest, professeure adjointe de clinique au Département de psychiatrie et d’addictologie de l'UdeM et chef de la psychiatrie urbaine au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.  

C’est beaucoup grâce à elle si le programme de traitement intensif bref à domicile (TIBD) en santé mentale, qui reproduit les soins hospitaliers au domicile du patient, a été implanté à Montréal il y a un an. Auparavant, la psychiatre dirigeait l’équipe du TIBD à Québec, lieu de sa naissance et de celle du programme.  

«Quand je suis arrivée à Montréal, en 2021, j’ai vu que le terreau était fertile au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal. Ça faisait longtemps que mon collègue Olivier Farmer parlait de l’instaurer ici. On a adapté le modèle de Québec, qui existe depuis 15 ans, à la réalité de Montréal», relate la Dre Genest, énumérant au passage les nombreux bienfaits des soins prodigués dans la communauté, à la fois pour les usagers, les proches et le personnel – plus grande satisfaction à l’égard des soins et observance plus étroite du traitement, meilleure relation avec le patient, déstigmatisation de la maladie…

C’est sans compter les avantages du programme sur les plans social et économique. «Dans un contexte de demande accrue en santé mentale et de ressources limitées, les coûts moindres de l’hospitalisation à domicile sont un motivateur pour investir dans ce programme, fait valoir la Dre Genest, qui voit ce service comme la suite logique de la désinstitutionnalisation, amorcée dans les années 1980. On pousse plus loin l’idée de traiter les gens dans leur milieu de vie. Ce service se situe à l’avant-garde: on n’attend pas que le besoin se manifeste pour y répondre. On adopte une approche proactive et inclusive, avec l’apport d’un pair aidant dans l’équipe.» 

Très populaire auprès de la relève, cette psychiatrie tout terrain répond au besoin des jeunes médecins de faire les choses autrement, de s’ouvrir à de nouvelles possibilités, poursuit Marianne Genest. «Je le vois dans les cours que je donne sur la pédagogie médicale: la nouvelle génération de médecins a envie de s'engager dans des causes. En ce sens, l'hospitalisation à domicile devient un peu leur cause sociale!» dit-elle.

  • La Dre Marianne Genest discute avec une chef de famille monoparentale en détresse qui a été victime de violence conjugale. Elle s’enquiert de son état, l’écoute attentivement et l’encourage: «Vous êtes sur la bonne voie. On va y aller étape par étape.»

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  • L’équipe multidisciplinaire se rencontre tous les après-midis pour faire le point sur l’état de ses patients.

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Former une relève engagée

Au cours des dernières décennies, le travail des psychiatres s’est métamorphosé, passant de la consultation individuelle en cabinet au travail en équipes interdisciplinaires et au service à domicile. «Les jeunes psychiatres vont dans les refuges, s'occupent de toxicomanie, acquièrent une expertise sur le terrain», confirme la Dre Claire Gamache, professeure adjointe au Département de psychiatrie et d’addictologie de l’UdeM.

La présidente de l’Association des médecins psychiatres du Québec remarque que, si les soins aux patients psychotiques se sont nettement améliorés – et du même coup la formation des résidentes et résidents qui interviennent auprès de cette clientèle –, il est temps à présent de réfléchir aux façons de venir en aide aux personnes atteintes de problèmes de santé mentale moins graves (anxiété de performance, choc post-traumatique dû au stress de l’immigration ou à la violence conjugale, détresse causée par une séparation, épuisement professionnel, troubles liés à l'utilisation de substances…). «Il y a tout un travail à accomplir pour former une relève capable de faire preuve de leadership et de travailler en partenariat avec divers acteurs de la santé publique», croit-elle.  

Cette relève, estime la Dre Gagné, est déjà bien pourvue sur le plan de la motivation et des valeurs humanistes. «Les futurs médecins et professionnels de la santé ont sincèrement à cœur le désir d'aider. Maintenant, ils doivent apprendre à devenir des leaders pour transformer le système et donner les meilleurs soins possible», dit la coordonnatrice locale à l'enseignement pour la psychiatrie au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal. 

Et c’est exactement ce que les stages au sein des équipes du PRISM, du suivi intensif en itinérance, du suivi intensif dans le milieu et du TIBD leur enseignent. Ce n’est pas pour rien s’ils figurent parmi les plus populaires du programme de résidence! 

  • «La psychiatrie et la médecine de famille sont très liées. Le fait de sortir de l’hôpital pour aller chez les gens permet de voir l’influence du milieu sur la personne. Cette approche rejoint mon champ d’intérêt de prodiguer des soins à domicile en santé mentale.» ─ Michael Guillot, externe de deuxième année

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  • «Le stage en médecine communautaire nous aide à comprendre les termes qui nous sont enseignés. Comment établir une alliance thérapeutique? Comment bien communiquer? Quelles sont nos forces et nos faiblesses? Nous les mettons en pratique sur le terrain.» ─ Klara Pokrzywko, résidente de cinquième année en psychiatrie

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Les services mobiles de proximité en psychiatrie

Les personnes fragilisées peuvent bénéficier de l’un des quatre programmes de proximité spécialisés en santé mentale mis en place par les équipes psychiatriques multidisciplinaires du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) du Centre-Sud-de-l'Île-de-Montréal.  

  • Le Programme de réaffiliation en itinérance et santé mentale (PRISM) est offert en collaboration avec le milieu communautaire. Il aide les personnes en situation d’itinérance atteintes de troubles mentaux graves à trouver un logement tout en leur assurant un suivi médical et psychosocial. Le volet montréalais dispose de salles de consultation et d'un petit dortoir à la Mission Old Brewery – au pavillon Patricia-Mackenzie pour les femmes et au pavillon Webster pour les hommes.  

  • Le suivi intensif en itinérance (SII) offre du soutien aux personnes sans-abris aux prises avec des problèmes de santé mentale, peu importe où elles se trouvent.  

  • Le suivi intensif dans le milieu (SIM) existe depuis plusieurs années un peu partout au Québec. Basées dans les CLSC, les équipes se déplacent dans la communauté auprès des adultes souffrant de troubles psychotiques graves. Le CIUSSS du Centre-Sud-de-l'Île-de-Montréal possède sa propre équipe SIM au CLSC des Faubourgs, rue Sainte-Catherine, à Montréal. 

  • L’hospitalisation psychiatrique à domicile (TIBD), c’est une équipe d’intervention brève à domicile (de 6 à 12 semaines) qui vient en aide aux personnes aux prises avec un trouble psychiatrique en phase aigüe. Ce programme leur évite de recourir à l’urgence ou d’être hospitalisées.