Élections fédérales du 28 avril: des défis sociaux à ne pas occulter

L’itinérance, la crise du logement et la lutte contre les formes d’oppression doivent faire partie des préoccupations des partis politiques qui aspirent à diriger le pays, selon les professeures Carolyne Grimard et Sophie Hamisultane.

L’itinérance, la crise du logement et la lutte contre les formes d’oppression doivent faire partie des préoccupations des partis politiques qui aspirent à diriger le pays, selon les professeures Carolyne Grimard et Sophie Hamisultane.

Crédit : Getty

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En vue du scrutin fédéral du 28 avril, Sophie Hamisultane et Carolyne Grimard ciblent les défis sociaux que les partis politiques ne devraient pas occulter pendant la campagne électorale.

Alors que le Canada se prépare pour le scrutin fédéral du 28 avril, plusieurs questions sociales semblent occultées par les débats économiques et géopolitiques: l’itinérance, la crise du logement et la lutte contre les formes d’oppression doivent être au cœur des discussions et des préoccupations des partis politiques qui aspirent à diriger le pays. 

Les professeures Carolyne Grimard et Sophie Hamisultane, de l’École de travail social de l’Université de Montréal, soulignent l’urgence de ces défis et appellent les partis politiques à y répondre de manière concrète.

Itinérance, logement social et tensions juridictionnelles

Carolyne Grimard

Carolyne Grimard

Crédit : Amélie Philibert, Université de Montréal

Pour Carolyne Grimard, les élections fédérales doivent porter sur les questions de l’itinérance et de la crise du logement. Deux tensions juridictionnelles majeures se dégagent selon elle. 

La première concerne le partage des pouvoirs entre les gouvernements fédéral et provinciaux. En effet, les domaines de la santé, des services sociaux et une partie du dossier de l’habitation relèvent des provinces, tandis que le fédéral, doté de ressources financières plus importantes, tente souvent d’imposer ses conditions dans l’utilisation des fonds transférés.  

«Cette dynamique a provoqué des retards dans la distribution de fonds destinés à l’itinérance l’automne dernier, freinant notamment les mesures hivernales pour les personnes sans-abris, rappelle Carolyne Grimard. Le Québec, qui préserve activement ses compétences, refuse cette ingérence, ce qui complique la collaboration intergouvernementale… et retarde l’aide dont ces gens ont besoin.» 

La deuxième tension porte sur le droit au logement, instauré sous le gouvernement de Justin Trudeau, mais qui reste à ses yeux une «coquille vide».  

«Faute de mécanismes concrets pour le faire respecter, ce droit peine à se matérialiser, déplore la professeure. On voit combien cette lacune est criante dans le contexte des campements de fortune, qui émergent comme une réponse désespérée à la crise du logement. Ces campements illustrent l’échec des politiques actuelles à fournir des solutions durables aux personnes sans domicile fixe.» 

Carolyne Grimard mentionne aussi les répercussions de la crise du fentanyl, qui croise la question de l’itinérance.  

«Les décisions conservatrices prises par certaines provinces, comme l’Ontario qui a interdit l’implantation de centres d’injection supervisée à moins de 200 m des écoles, poussent les consommateurs à la rue, exacerbant les problèmes de santé publique, soutient-elle. Le gouvernement fédéral devra naviguer avec prudence dans ce dossier, d’autant plus qu’il est lié à des tensions avec les États-Unis concernant les politiques de lutte contre les drogues.» 

Ainsi, pour Carolyne Grimard, il est indispensable de procéder à une refonte des politiques fédérales en matière de logement et d’itinérance, en tenant compte des réalités provinciales et en créant des mécanismes concrets pour faire respecter le droit au logement.

Lutter contre les oppressions systémiques et favoriser la justice sociale

Sophie Hamisultane

Sophie Hamisultane

Crédit : Amélie Philibert, Université de Montréal

De son côté, Sophie Hamisultane met l’accent sur les questions de racisme, de sexisme et les formes multiples d’oppression qui touchent les communautés marginalisées. Elle craint que ces questions, bien que mises en lumière par des mouvements comme #MeToo, la mort de George Floyd aux États-Unis et celle de Joyce Echaquan au Québec, soient reléguées au second plan dans le contexte politique qui prévaut depuis le début de la campagne. 

«Les femmes, les personnes racisées et les individus aux identités de genre diverses subissent des formes d’oppression persistantes, qui ont des répercussions sur leur santé mentale, leur santé physique et leurs conditions de vie, rappelle-t-elle. Les femmes racisées, en particulier, portent un double fardeau, confrontées à la fois au sexisme et au racisme.» 

Pour Sophie Hamisultane, la démocratie «ne peut se construire sur l’inégalité des droits: ignorer ces réalités reviendrait à accepter un retour en arrière». Elle dénonce par le fait même l’instrumentalisation des discours racistes, islamophobes, antisémites, sexistes et transphobes par certains acteurs politiques «qui agitent le drapeau identitaire pour détourner l’attention des problèmes structurels». 

Aussi plaide-t-elle pour une approche proactive fondée sur l’éducation et la santé.  

«L’éducation doit permettre de déconstruire les préjugés et de reconnaître que les identités diverses ont toujours fait partie de l’histoire socioculturelle du Canada, insiste Sophie Hamisultane. La santé, quant à elle, doit être envisagée comme un pilier de la société, car négliger les besoins des individus les plus vulnérables conduit à une société malade.» 

Elle demande donc aux partis politiques «de ne pas céder aux sirènes du conservatisme et de promouvoir des politiques inclusives, qui reconnaissent et combattent les oppressions systémiques».