«Les inégalités alimentent le populisme et exacerbent les crises sociales» ‒ Joseph E. Stiglitz

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  • Le 1 mai 2019

  • Martin LaSalle
«Les inégalités divisent nos sociétés et, ce que les chiffres ne disent pas, c'est qu'elles atteignent les individus dans leur cœur», a répondu Joseph E. Stiglitz à une question de Nicolas Zorn, directeur de l'Observatoire québécois des inégalités.

«Les inégalités divisent nos sociétés et, ce que les chiffres ne disent pas, c'est qu'elles atteignent les individus dans leur cœur», a répondu Joseph E. Stiglitz à une question de Nicolas Zorn, directeur de l'Observatoire québécois des inégalités.

Crédit : Benjamin Seropian

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«Les inégalités découlent de décisions politiques qui alimentent le populisme et exacerbent les crises sociales», a affirmé le Prix Nobel d’économie Joseph E. Stiglitz, qui était de passage à l’UdeM.

«Les 45 dernières années ont démontré que, aux États-Unis, la croissance économique n’est pas un gage de redistribution équitable de la richesse; en raison de décisions politiques, les inégalités se sont accentuées et elles alimentent aujourd’hui le populisme et exacerbent les crises sociales.»

Tel est le constat qu’a partagé l’économiste Joseph E. Stiglitz au cours d’une conférence qu’il a prononcée le 29 avril à l’Université de Montréal. Cette activité était organisée en collaboration avec le festival Metropolis bleu, l’Observatoire québécois des inégalités, le Centre d’études et de recherches internationales de l’UdeM et la Chaire de la Fondation J. W. McConnell en études américaines.

Chiffres à l’appui, M. Stiglitz a indiqué que les revenus des 90 % les plus pauvres n’ont augmenté que de 15 % en moyenne de 1979 à 2010; à l’autre bout du spectre, le 1 % des plus riches a vu ses revenus bondir de 131 % au cours de la même période. Plus encore, les revenus des plus riches entre les riches se sont accrus de 278 %.

«Aujourd’hui, aux États-Unis, ceux qui forment le 1 % des plus riches possèdent 40 % de la richesse, tandis que les familles de la classe moyenne n’ont même pas 500 $ en banque pour parer aux imprévus», a mentionné celui qui a été vice-président et économiste en chef de la Banque mondiale à la fin des années 90, après avoir été conseiller économique pour le président Bill Clinton.

Plus encore, il a déploré que les sociétés soient assises sur des milliards de dollars qui leur rapportent sans qu’elles aient à investir dans l’économie.

Les causes et les conséquences des inégalités

Amorcée dans les années 80, la dérèglementation du secteur financier a graduellement eu pour effet de concentrer le pouvoir et les ressources entre les mains d’une ploutocratie. Il a notamment cité l’exemple de «la famille Walton et des frères Kock, qui, en 2016, valaient à eux seuls quelque 212 milliards de dollars américains».

Qui plus est, la crise financière survenue en 2008 continue d'avoir des répercussions négatives dans la population.

Et, selon M. Stiglitz, le président Trump a empiré la situation en réduisant le fardeau fiscal des milliardaires et des sociétés… tout en augmentant celui de la classe moyenne.

«Les conséquences pour le peuple américain ne sont pas qu’économiques: l’accès aux soins de santé s’est détérioré et les plus démunis ont perdu tout espoir de s’en sortir, a-t-il soutenu. L’augmentation de l’alcoolisme, de la consommation de drogue et du nombre de suicides qu’on observe est un symptôme d’un désordre social profond.»

En somme, l’ampleur des inégalités aux États-Unis constitue «un exemple de ce qu’il ne faut pas faire» en termes de politiques économiques, estime Joseph E. Stiglitz.

Pour un capitalisme progressiste et plus égalitaire

En lieu et place du capitalisme néolibéral qui n’a pas servi l’ensemble de la société américaine, M. Stiglitz milite en faveur d’un capitalisme progressiste qui permettrait, selon lui, de diminuer les inégalités.

Dans son plus récent ouvrage, intitulé Peuple, pouvoir et profits, il propose différentes mesures, dont:

  • réguler le secteur financier, entre autres par le renforcement de lois sur la concurrence;
  • rendre l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés plus progressif;
  • améliorer l’accès à l’éducation;
  • assurer à tous l’accès aux soins de santé;
  • faciliter l’épargne;
  • renforcer les programmes de protection sociale;
  • miser sur l’investissement public pour stimuler la croissance et préserver les emplois;
  • créer des établissements financiers ayant des objectifs à long terme et qui financeraient de nouvelles infrastructures.

Il propose également de s’attaquer aux changements climatiques, qui sont aussi générateurs d’inégalités. D’après Joseph E. Stiglitz, imposer une taxe sur le carbone constitue l’une des façons d’agir les plus importantes pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.

«Nous devons atteindre un meilleur équilibre entre le marché, l’État et la société civile et c’est par le capitalisme progressif que nous y parviendrons, a-t-il conclu. Nous pourrions avoir une meilleure prospérité et une croissance plus forte si nous avions un système de partage plus égalitaire: l’économie doit être au service de la société.»

  • Joseph E. Stiglitz a reçu le prix Anthony-Atkinson pour l'égalité, nommé en l'honneur de cet économiste britannique (décédé en 2017) spécialiste de l'étude des inégalités. C'est Judith Atkinson, sa veuve, qui a remis ce prix, qui était décerné pour la première fois.

    Crédit : Benjamin Seropian
  • Le succès de cette conférence est attribuable à la collaboration de plusieurs personnes. De gauche à droite, on reconnaît Magdalena Dembinska (directrice du Centre d'études et de recherches internationales de l'UdeM), Nadine Raymond (présidente du conseil d’administration de l’Observatoire québécois des inégalités), Judith Atkinson (veuve d'Anthony Atkinson), Joseph E. Stiglitz, Guy Breton (recteur de l'UdeM), William St-Hilaire (présidente-directrice générale et directrice artistique de la Fondation Metropolis Bleu) et Nicolas Zorn (directeur général de l’Observatoire québécois des inégalités).

    Crédit : Benjamin Seropian
  • L’amphithéâtre Ernest-Cormier du pavillon Roger-Gaudry a fait salle comble pour la conférence du Nobel d'économie Joseph E. Stiglitz.

    Crédit : Benjamin Seropian

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