Le recteur répond aux questions des membres de la communauté

Daniel Jutras

Daniel Jutras

Crédit : Amélie Philibert

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Le recteur Daniel Jutras répond à quelques-unes des questions que lui a adressées la communauté universitaire.

Le 2 novembre dernier, le recteur Daniel Jutras prononçait sa première déclaration annuelle devant l’Assemblée universitaire. Une rencontre à laquelle étaient conviés tous les membres de la communauté universitaire. Le recteur y a présenté les valeurs fondamentales qui définissent l’Université de Montréal et la guideront dans l’élaboration des objectifs et stratégies pour les années à venir.

D’abord, puisqu’elle est un incontournable vecteur de l’épanouissement de ses étudiants et étudiantes, l’Université compte mettre la pédagogie au cœur de sa mission. Ensuite, revenant sur l’enjeu de la liberté d’expression en classe, le recteur a réaffirmé que l’Université est un espace de liberté, invitant les membres de la communauté à engager une «conversation libre, ouverte et respectueuse» sur le sujet. Enfin, l’Université doit également se concevoir comme un lieu d’influence sur le monde auquel elle appartient. Cette influence s’exercera notamment à travers les retombées de la recherche et l’exemple que donne l’établissement en matière de développement durable et d’équité, de diversité et d’inclusion.

M. Jutras a profité de cette tribune pour inviter la communauté à lui poser des questions. Il répond ici à quelques-unes de celles qui lui ont été adressées.

Quelle est la position de l'Université quant à l'interdiction de certains mots ou sujets qui pourraient offenser des étudiants et étudiantes?

Il ne m’appartient pas, du moins pas avant d’avoir mené à terme le dialogue qui s’amorce, d’énoncer d’ores et déjà la position de l’Université sur cet enjeu fondamental. Cette position sera définie prochainement, à la suite d’une consultation qui engagera des représentants de tous les groupes de la communauté universitaire et en tenant compte des textes normatifs et politiques qui protègent déjà les libertés universitaires et la dignité de chacun. Cela dit, j’ai abordé ma propre vision dans ma déclaration annuelle ainsi que dans un message à la communauté universitaire. J’estime que la parole est libre à l’Université. Je crois qu’aucun mot ne doit être interdit lorsqu’on explore le monde de la connaissance, surtout dans un contexte pédagogique. Aucun dogme, aucune idéologie n’est à l’abri du jugement critique des universitaires. Leur quête de savoir ne peut être assujettie à aucun diktat. En même temps, la liberté de penser, de chercher et de dire n’absout personne ‒ étudiants ou étudiantes, enseignants ou enseignantes ‒ de la responsabilité de préserver les conditions de sérénité et de dignité qui doivent prévaloir en classe. Je constate que, dans d’autres communautés, le débat sur la question a mal commencé: porté sur les médias sociaux, il s’est enlisé dans des affrontements sans nuances, indignes de la vie universitaire. Nous ferons ce débat de façon sereine et posée.

 

Dans la dernière décennie, on a constaté une érosion de la crédibilité scientifique au sein de la population et même de certains gouvernements. Cette crédibilité scientifique sera nécessaire pour affronter les défis futurs comme le réchauffement climatique. Que peuvent faire les universités pour freiner cette érosion?

Le combat pour la pensée rationnelle, la primauté des faits et la défense des méthodes éprouvées qui constituent la science n’a jamais cessé depuis la création des universités, il y a huit siècles. Il ne faut certainement pas baisser la garde aujourd’hui. Sans relâche, nous devons continuer à démontrer à la population la pertinence de ce que nous faisons sur nos campus, dans nos salles de cours, nos bibliothèques et nos laboratoires. Cela passe par les communications institutionnelles, mais aussi par les efforts de chaque membre du personnel enseignant pour atteindre les décideurs et le grand public. L’une des choses positives de la pandémie est qu’elle a mis le rôle de la recherche à l’avant-scène et favorisé une prise de conscience de la méthode scientifique, y compris la part d’incertitude qu’elle recèle et l’effort constant des chercheurs et chercheuses qui ont à contrevérifier leurs conclusions à partir de la réalité empirique. Leur crédibilité en est-elle rehaussée? Un peu, comme l’indique un sondage mené en juillet dernier pour les Fonds de recherche du Québec: 84 % des personnes interrogées disaient avoir très ou assez confiance dans la science, soit 3 % de plus qu’en décembre 2019. Une chose est sûre, la conversation avec le public est bien engagée. Les universitaires devront la maintenir en saisissant toutes les occasions qui se présentent pour rappeler que, si la recherche nous sort de la crise grâce au vaccin, entre autres, elle alimentera aussi la relance économique et sociale en produisant les connaissances dont nous avons besoin pour aller de l’avant.

 

En ces temps de pandémie, comment prévoyez-vous améliorer l'accès aux soins de santé mentale pour la population étudiante? Cela est d'autant plus important que, avant même le premier confinement, les études rapportaient que 58 % des étudiants et étudiantes d’université du Québec déclaraient souffrir de détresse psychologique.

COVID-19 ou pas, l’Université accompagne ses étudiants et étudiantes jusqu’à l’obtention du diplôme, et le soutien psychologique est à l’évidence un service essentiel à la réussite scolaire. Ces derniers temps, nous avons intensifié nos communications pour faire connaître les services offerts à la communauté étudiante en matière de santé mentale. Et ces services sont nombreux. Cela va du dispositif d’écoute des sentinelles aux consultations en psychologie en passant par le programme Mieux-être de l’Alliance pour la santé étudiante au Québec, les activités de réseautage étudiant ou encore les ateliers des Services aux étudiants sur l’anxiété de performance. Sans parler de projets organisés de concert avec la Fédération des associations étudiantes du campus de l’UdeM comme «Relaxez, c'est juste la fin de session», toute une semaine d’activités pour affronter sereinement la période des examens. On le voit: il y a déjà beaucoup de choses qui se font. Il est important de rappeler que les troubles de santé mentale ne requièrent pas tous les mêmes soins et que chaque étudiante ou étudiant qui fait une demande au Centre de santé et de consultation psychologique est évalué rapidement. Lorsque la situation est urgente, la prise en charge ou le soutien médical sont offerts de manière immédiate. Grâce à l'appui du ministère de l’Enseignement supérieur, nous avons pu ajouter des ressources pour réduire le délai d’attente pour les cas moins pressants. Bref, un soutien adapté à la condition de chaque étudiant ou étudiante est proposé le plus rapidement possible, en fonction des ressources et des types d’intervention disponibles.

 

La crise sanitaire que nous traversons exacerbe plusieurs problématiques qui touchent particulièrement la population étudiante des deuxième et troisième cycles, comme l’isolement et l’allongement de la scolarité. Comment l’Université compte-t-elle améliorer l’encadrement des étudiants et étudiantes des cycles supérieurs?

Il est vrai que le risque de ressentir une baisse de motivation est assez élevé chez les étudiants et étudiantes qui sont en rédaction de mémoire ou de thèse. Nous en sommes très conscients et nous agissons à cet égard. Par exemple, au semestre d’hiver, nous offrirons des activités en petits groupes en présentiel afin de briser l’isolement et nous mettrons en place une communauté de pratique pour le corps professoral sur l’encadrement en temps de pandémie. De façon plus générale, nous avons conçu plusieurs outils pour favoriser un meilleur encadrement aux cycles supérieurs, dont le plan global d’études, qui permet à l’étudiant et à son directeur de recherche de préciser les rôles respectifs de chacun et d’établir des modalités de travail réalistes. Nous savons aussi que la question du financement est le nerf de la guerre en ce qui a trait à la durée des études aux cycles supérieurs. Nous accordons cette année près de huit millions de dollars pour des bourses internes et nous réfléchissons à des moyens d’améliorer le financement global de ces études pour que chacun et chacune puissent consacrer le plus fort de leur temps à leur maîtrise ou à leur doctorat. 

 

Considérant que la majorité des étudiants et étudiantes n'utilisent plus une grande partie des locaux de l'Université et que l'enseignement se fait, essentiellement, à distance, serait-il possible de diminuer les droits de scolarité?

La diminution des droits de scolarité n’est pas envisagée. Je suis conscient que l’expérience d’études est différente, mais toutes les mesures ont été prises afin d’assurer la qualité des formations et beaucoup d’investissements ont été faits en ce sens. D’ailleurs, nos sondages internes et ceux du ministère de l’Enseignement supérieur confirment que la satisfaction des étudiants et des étudiantes demeure élevée par rapport aux cours qui ont été offerts jusqu’ici. La réalité est qu’offrir un enseignement de qualité à distance coûte cher: nous avons investi plusieurs millions de dollars pour soutenir la population étudiante et le corps enseignant de toutes sortes de manières, embaucher des d’auxiliaires d’enseignement, acheter de l’équipement informatique et équiper quelque 170 classes de caméras et micros pour permettre un enseignement multimodal.

 

L’Université autorisera-t-elle les membres des personnels administratif et professionnel dont les tâches le permettent à faire du télétravail une ou plusieurs journées par semaine après la pandémie?

Notre réflexion sur le sujet est en cours. Cet automne, nous avons formé un comité d’experts qui est chargé de tirer les meilleurs enseignements de notre récente expérience collective de télétravail et d’établir, en s’appuyant sur les meilleures pratiques et la littérature de pointe dans le domaine, la vision à long terme de l’Université en la matière. Ce travail viendra bonifier celui mené par la Direction des ressources humaines, qui préparait déjà une politique sur le télétravail avant le début de la pandémie.

 

La pandémie de COVID-19 a exigé la mise sur pied de nouvelles modalités d'enseignement universitaire. Que pensez-vous d'une mise en place à l'UdeM de programmes d'études offerts surtout à distance, et ce, même après la fin de la pandémie?

Je veux le dire très clairement: nous ne nous dirigeons pas vers une université à distance après la pandémie ‒ ce ne serait pas compatible avec notre identité et notre mission. Il nous faut toutefois réfléchir à la place que doit prendre la formation à distance dans une perspective d’excellence en enseignement. Par exemple, des outils de pédagogie à distance pourraient être intégrés dans certains cours afin de laisser plus de temps pour des discussions en classe et, ainsi, aller plus loin dans l’apprentissage. D’une autre façon, nous pourrions utiliser l’enseignement à distance pour enrichir notre offre en formation continue et intéresser plus d’étudiants et d’étudiantes à l’étranger.

 

L'UdeM est-elle dépendante d'énergies fossiles pour le chauffage et la climatisation de ses bâtiments? Que compte-t-on faire pour améliorer le bilan énergétique de l’Université? Et quels nouveaux aménagements sont prévus pour favoriser le transport actif des membres de la communauté universitaire?

Comme source d’énergie, l’Université utilise principalement l’hydroélectricité, à 51 %, et le gaz naturel, à 49 %. Notre bilan énergétique varie d’un bâtiment à l’autre, certains étant plus modernes et d’autres plus anciens. La bonne nouvelle est que les rénovations du pavillon Roger-Gaudry nous permettront de réduire significativement notre consommation d’énergie dans les années à venir. Pour ce qui est du transport actif, nous adopterons plusieurs mesures en 2021. Par exemple, nous rendrons disponible une carte de toutes les installations pour cyclistes de nos différents campus, qui permettra de repérer les supports à vélos intérieurs et extérieurs ainsi que les bornes de réparation. Nous comptons également inaugurer un premier stationnement pour vélos sécurisé à l’intérieur du garage Louis-Colin ‒ d’autres stationnements devraient suivre par la suite. En outre, le plan directeur d'aménagement des lieux extérieurs, qui est en préparation et qui offrira une vision du campus de la montagne pour les 15 prochaines années, laissera une grande place au développement durable et donc au transport actif. 

 

Dans votre déclaration annuelle, vous avez mentionné qu’une consultation sera entreprise auprès de la communauté universitaire afin d'établir des orientations et un plan stratégique pour les prochaines années. En quoi cette consultation sera-t-elle rattachée au projet de transformation institutionnelle amorcée par la précédente administration?

Notre prochain grand projet collectif ne sera pas en rupture avec le plan d’action Transcender les frontières, qui a été lancé en 2016 et qui se terminera au cours de l’année 2021. Nous ne ferons pas le remake des consultations passées, nous ne partirons pas de zéro. Nous bâtirons sur ce qui a déjà été réalisé et la communauté sera appelée à se prononcer sur les actions à entreprendre pour amener l’Université de Montréal encore plus loin. Je vois déjà dans le plan d’action actuel une piste prometteuse pour notre avenir commun: c’est l’identité que la communauté universitaire s’est donnée à partir de 2017, «L’Université de Montréal et du monde». Voilà certainement un socle sur lequel nous pourrons ériger une vision à long terme pour notre établissement, une vision qui nous conduira à intégrer plus fortement nos différentes missions.