Anasens: une jeune pousse qui va loin

Vincent De Guire, Nancy Schoenbrunner et Alexis Vallée-Bélisle, trois des cinq cofondateurs d'Anasens

Vincent De Guire, Nancy Schoenbrunner et Alexis Vallée-Bélisle, trois des cinq cofondateurs d'Anasens

En 5 secondes

Une jeune pousse de l’Université de Montréal veut faciliter le suivi des maladies chroniques.

Tout a commencé dans le laboratoire d’Alexis Vallée-Bélisle, professeur au Département de chimie de l’Université de Montréal et directeur du Laboratoire de biocapteur et nanomachines. «En 2015, mon laboratoire travaillait beaucoup sur des méthodes de détection rapides et non dispendieuses qui permettraient de révéler à la maison n’importe quel marqueur dans une goutte de sang, en quelques minutes, avec un petit appareil», raconte-t-il. Cette technologie à base d’ADN est très prometteuse, mais le professeur connaît mal les possibles applications cliniques.

Entre en scène son ancien collègue du baccalauréat Vincent De Guire. Biochimiste clinique à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont et chargé d’enseignement clinique au Département de biochimie et médecine moléculaire de l’UdeM, il voit le potentiel énorme d’une telle technologie. «La stratégie d’Alexis permet de résoudre plusieurs problèmes liés aux tests diagnostiques et répond vraiment à des besoins cliniques», constate le cofondateur d’Anasens. En effet, il devient possible de déceler directement des molécules dans une goutte de sang, sans transport au laboratoire central, sans prise de sang, sans avoir besoin de séparer les cellules sanguines par centrifugation, etc.: une économie importante de temps, de ressources et d’argent.

Détecter grâce à une goutte de sang

Anasens cherche à commercialiser une toute nouvelle technologie qui permet de déceler plusieurs marqueurs à l’aide d’un seul instrument.

La technologie conçue par le professeur Vallée-Bélisle et son équipe fait appel à l’ADN et se traduit en des capteurs qui détectent des marqueurs. Avec la même technologie, on peut reconnaître plusieurs molécules. «On donne souvent l’exemple du glucomètre pour les diabétiques. Cet appareil n’existe pas pour d’autres maladies; c’est ce qu’on a voulu mettre au point», explique-t-il. Plutôt que d’essayer de miniaturiser des appareils existants, Anasens cherche à commercialiser une toute nouvelle technologie qui permet de déceler plusieurs marqueurs à l’aide d’un seul instrument.

Ainsi, plusieurs maladies chroniques (comme l’insuffisance rénale ou les maladies cardiaques) nécessitent un suivi étroit du patient, qui ne veut pas se déplacer constamment à l’hôpital. Ce type de suivi coûte cher au système de santé et est lourd pour les patients. «On veut aider les gens et leurs médecins», résume Alexis Vallée-Bélisle. La technologie d’Anasens serait donc un outil complémentaire de prise en charge pour faciliter le suivi des patients.

De l’idée au produit

Si le travail de recherche n’a pas de secrets pour le professeur Vallée-Bélisle, la commercialisation de son idée est une tout autre chose. «La technologie peut avoir plusieurs applications, mais sur le plan des affaires les décisions sont prises différemment», remarque-t-il. Plusieurs acteurs ont alimenté la pousse d’Anasens: le Bureau Recherche-Développement-Valorisation de l’UdeM, Univalor (la société de valorisation de l’Université), l’Institut TransMedTech (créé par Polytechnique Montréal pour commercialiser les découvertes). La bourse de TransMedTech a par exemple permis au laboratoire de M. Vallée-Bélisle d’engager cinq étudiants; ceux-ci ont pu travailler sur la commercialisation de la technologie et s’immerger dans cet univers hybride très formateur.

«On s’est rendu compte qu’on est chanceux d’être au Québec parce qu’on a accès à des subventions de développement de technologies», remarque Vincent De Guire. En effet, les compagnies ne sont pas toujours prêtes à investir dans de nouvelles technologies. Le domaine est aussi perçu comme très risqué depuis le scandale de Theranos – une entreprise américaine qui promettait des tests sanguins miniaturisés, mais dont les dirigeants ont été inculpés de fraude massive. Ainsi, des subventions publiques (ministère de l’Économie et de l’Innovation, Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada) ont permis à la technologie de mûrir.

Se lancer en affaires

«Quand notre étude a été publiée, nous avons rencontré une douzaine de compagnies, mais aucune ne voulait tenter l’aventure. La solution était de nous-mêmes lancer une entreprise dans l’environnement de l’Université», relate Alexis Vallée-Bélisle.

Puis, des consultants experts engagés en 2016 ont tellement été convaincus par le produit qu’ils ont décidé de se joindre à l’équipe d’Anasens, officiellement mise sur pied en 2020. La jeune pousse a continué de grandir et a remporté en avril la deuxième place à une compétition organisée par Biron, qui lui donnera la chance de bénéficier d’un accompagnement dans un accélérateur d’entreprises afin de favoriser le lancement de sa plateforme expérimentale. Le monde des entreprises en démarrage vient avec plusieurs défis pour les chercheurs, qui doivent porter plusieurs casquettes. «Ce n’est pas juste une question d’investissement. Il faut s’entourer d’une équipe multifonctionnelle et aller chercher les conseils des organismes», souligne M. De Guire.

Un test au bout des doigts

En début de pandémie, les recherches ont toutes été interrompues, mais le professeur Vallée-Bélisle a adapté la technologie pour pouvoir détecter la présence d’anticorps de la COVID-19, même si Anasens ne poursuivra pas les travaux dans ce sens. «Le modèle d’affaires pour le suivi des maladies chroniques est beaucoup plus clair et porteur. Le projet de détection d’anticorps anti-COVID-19 a par contre été bénéfique pour Anasens et mon laboratoire, puisque nous avons pu maintenir les activités de recherche et perfectionner notre prototype», dit-il.

Les patients devront attendre deux ou trois ans avant d’avoir un appareil en main, la technologie devant encore être perfectionnée. La validation clinique du prototype a commencé, mais d’autres investissements et tests seront nécessaires, sans compter l’approbation par Santé Canada. À terme, Anasens souhaite améliorer la qualité de vie des patients et faciliter le travail de leurs médecins. «Je suis impressionné par la détermination d’Alexis à mener sa découverte à terme. De nombreuses découvertes se font en recherche fondamentale, mais ce n’est pas toujours transposé dans la pratique», conclut M. De Guire.

La technologie

Les futurs appareils d’Anasens sont le résultat d’une technologie sur laquelle Alexis Vallée-Bélisle travaille depuis plusieurs années. L’ADN est utilisé comme méthode de signalisation, «un peu comme un code à barres», précise-t-il. Chaque électrode possède une courte séquence d’ADN à sa surface qui peut reconnaître une séquence d’ADN complémentaire qui a été ajoutée à l’échantillon sanguin. Ces séquences complémentaires s’assemblent en formant la fameuse double hélice. Ces séquences d’ADN ajoutées à la goutte de sang possèdent un élément facilement détecté par les électrodes. L’interaction marqueur-ADN modifie la capacité de l’ADN de former la double hélice et donc modifie le courant électrique; c’est cette variation de courant que l’appareil distingue.

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