Êtes-vous plutôt joyeux ou en colère devant l’écran?
- UdeMNouvelles
Le 25 mai 2021
- Martine Letarte
Après une journée devant l’ordinateur, EmoScienS peut faire le bilan des expressions faciales de vos émotions et vous proposer des façons d'améliorer votre bien-être.
Au cours de votre dernière journée de travail, parmi toutes les émotions que vous avez ressenties devant l’écran, quel est le pourcentage de joie, de colère et de tristesse? Est-ce que certaines tâches vous causent beaucoup de frustrations? Lesquelles vous font vivre le plus de joie? Est-ce que les interactions avec vos collègues ont tendance à vous mettre en confiance ou en colère? C’est le genre d’information qu’on obtient grâce à EmoScienS pour ensuite pouvoir piger dans des outils et mieux gérer ses émotions.
Cette jeune pousse a été lancée il y a deux ans par Pierrich Plusquellec, professeur agrégé à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal, Nathe François, spécialiste en transfert de connaissances, et Ted Hill, spécialiste en reconnaissance automatique des émotions. La mission de l’organisation est de permettre aux gens d’utiliser les données des expressions faciales de leurs émotions pour améliorer leur bien-être.
«On se pose très peu de questions sur ce qu’on est en train de vivre, à moins d’être un moine bouddhiste», constate M. Plusquellec, chercheur en biologie du comportement dont les travaux portent sur les indicateurs non verbaux du stress.
Or, savoir ce qu’on vit comme émotions peut nous aider au quotidien. «La recherche montre que la conscience émotionnelle est un remède contre le stress chronique, l’anxiété, la rumination et la dépression, explique le professeur. J’ai voulu employer la technologie comme miroir de nos émotions. Un peu comme l’application Fitbit, mais sur le plan émotionnel. Parce qu’une fois qu’on prend conscience de ses émotions, on peut tester différentes façons de les maîtriser.»
Améliorer le bien-être en entreprise
EmoScienS utilise l’intelligence artificielle, plus précisément la reconnaissance automatique d’émotions, pour obtenir ses données. Après un passage à l’incubateur d’entreprises Centech, EmoScienS est maintenant accompagnée par L’Esplanade, l’accélérateur et catalyseur des entrepreneurs d’impact social et environnemental. La phase de commercialisation est commencée avec, comme marché visé, les organisations d’au moins 50 employés.
«Les entreprises peuvent voir, grâce à EmoScienS, l’état émotionnel non pas des individus, parce que les données sont anonymisées, mais des équipes, mentionne Pierrich Plusquellec. Grâce au monitorage en temps réel, le dirigeant peut savoir rapidement s’il se passe quelque chose dans un service et agir en conséquence.»
Les avantages individuels
Avec EmoScienS, les travailleurs décident s’ils veulent partager leurs données de façon anonyme avec leur employeur. L’intérêt pour eux, en plus de permettre à leur gestionnaire de veiller au maintien d’un bon climat d’équipe, est d’avoir accès à leurs données individuelles par un tableau de bord sécurisé. «Ils peuvent voir quels sont les moments dans la journée où ils ont été joyeux, tristes, en colère et faire le lien avec la tâche ou l’activité qu’ils accomplissaient alors», illustre M. Plusquellec.
Prenons l’exemple de la colère. «Elle a une fonction claire, soit d’indiquer la présence d’un obstacle à une valeur ou à un but, signale le chercheur. En regardant les pics de colère dans une journée, on est capable de repérer les obstacles, donc de savoir quand ils se représenteront. Ainsi, on peut prévoir une stratégie pour gérer sa colère à ce moment-là.»
Alors que Pierrich Plusquellec a constaté dans ses travaux de recherche que beaucoup de gens ont un énorme déficit en régulation émotionnelle, EmoScienS permet d’amener la science aux utilisateurs.
«On leur propose différentes techniques, comme celle de Barbara Fredrickson, qui consiste à cultiver des émotions positives dans sa journée, dit-il. Ou celle de James Gross pour faire de la restructuration cognitive lorsqu’ils se mettent en colère. Ou encore, ils peuvent essayer complètement autre chose, comme faire du yoga pour voir si cela diminue leurs émotions négatives.»
Le chercheur souligne que le psychologue et économiste Daniel Kahneman, Prix Nobel d’économie en 2002, considère d’ailleurs qu’une des dimensions délaissées du bien-être est l’équilibre entre les émotions positives et négatives vécues au quotidien.
Gérer les données de façon responsable
Les activités d’EmoScienS tombent dans la grande catégorie des technologies de reconnaissance faciale. Les lois sur la protection des renseignements personnels obligent les entreprises qui collectent ce type de données à obtenir le consentement des personnes concernées. «Mais nous, nous sommes allés plus loin parce que l’éthique et la responsabilité sociale sont au cœur de nos préoccupations, affirme Pierrich Plusquellec. Une technologie a toujours un côté sombre et un côté lumineux et nous tenions à ce qu’elle reste du côté lumineux.»
EmoScienS a été financée en 2020 par le programme Partenariat-UdeM et travaille avec le CHUM, signataire de la Déclaration de Montréal pour un développement responsable de l’intelligence artificielle, qui est une initiative de l’UdeM. «Nous collaborons aussi avec des chercheurs de HEC Montréal pour que nos clients signent une charte de responsabilité sociale dans laquelle ils s’engagent à ne pas utiliser les données par exemple pour essayer de retrouver un individu. C’est important pour nous que ce soit très bien encadré.»
EmoScienS, en collaboration avec l’Association québécoise des parents et amis de la personne atteinte de maladie mentale, a aussi obtenu du financement cette année du ministère de l’Économie et de l’Innovation du Québec. L’objectif est de former les dirigeants et les gestionnaires aux enjeux de santé mentale et de mesurer la portée de cette approche préventive grâce à la technologie d’EmoScienS.
«Alors que la santé mentale est particulièrement d’actualité avec la COVID-19, qui amène les gens à passer encore plus de temps devant leur l’écran, conclut M. Plusquellec, nous pensons que cet outil peut leur être utile.»