France: de l’engrais issu de déchets urbains contient des «produits chimiques éternels»

Les chercheurs ont sélectionné 47 échantillons d’amendements organiques destinés à l'application sur les champs, collectés en France de 1976 à 2018.

Les chercheurs ont sélectionné 47 échantillons d’amendements organiques destinés à l'application sur les champs, collectés en France de 1976 à 2018.

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Sébastien Sauvé et son équipe ont été mandatés pour analyser des échantillons de sols agricoles en France. La revue «Environmental Science & Technology» publie aujourd’hui ce qu’ils y ont trouvé.

D’aucuns considèrent qu’un manteau en tissu hydrofuge est très utile par temps pluvieux, mais peu savent qu’il peut aussi contaminer l’environnement, car il contient des substances per- et polyfluoroalkyles (PFAS) surnommées forever chemicals — «produits chimiques éternels». Ces substances sont nommées ainsi, car leur composition chimique leur confère une persistance dans l'environnement extrêmement longue.

Une équipe de chercheurs dirigée par Sébastien Sauvé, chercheur spécialisé en chimie environnementale à l’Université de Montréal, a découvert que les matières résiduaires urbaines utilisées comme engrais en France contiennent plus de PFAS que les amendements d'élevage, c’est-à-dire le fumier animal utilisé comme fertilisant dans les champs. Ces résultats viennent d’être publiés dans la revue Environmental Science & Technology de l'American Chemical Society.

En raison de leurs propriétés tensioactives utiles, les PFAS ont été produits massivement pour les revêtements antiadhésifs, les tissus hydrofuges et les mousses anti-incendies. Cependant, les scientifiques ont détecté ces «produits chimiques éternels» dans l'environnement, ce qui suscite des inquiétudes quant à leur toxicité.

L’équipe du professeur Sauvé a caractérisé les PFAS dans les matières organiques résiduaires d’hier et d’aujourd’hui épandues sur les champs agricoles en France et a trouvé les plus grandes quantités de ces substances dans les échantillons urbains, les composés changeant au fil du temps.

Des produits bannis dans de nombreux pays

Sébastien Sauvé

Crédit : Amélie Philibert

Bien que la production des PFAS les plus préoccupants ait été interdite ou volontairement abandonnée dans de nombreux pays, ces composés persistent dans l'environnement.

«Ils ont également été remplacés par d'autres PFAS dont les effets sur l'environnement et la santé sont incertains. Les humains et le bétail peuvent ingérer des PFAS et les excréter dans leurs déjections ou encore les composés peuvent s'infiltrer dans les eaux usées domestiques et se retrouver dans les effluents traités des eaux usées municipales, explique Sébastien Sauvé. Lorsque ces résidus sont appliqués sur les champs agricoles en tant qu'engrais, les PFAS pourraient contaminer les eaux souterraines et se bioaccumuler dans les cultures alimentaires.»

Sébastien Sauvé et ses collègues de l'Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) ont caractérisé de manière exhaustive plusieurs classes de PFAS dans les résidus organiques – y compris les fumiers d'élevage, les boues et composts d'eaux usées urbaines et les déchets industriels – appliqués comme engrais sur les terres agricoles françaises.

Des engrais agricoles français de 1976 à 2018

Les chercheurs ont sélectionné 47 échantillons d’amendements organiques destinés à l'application sur les champs, collectés en France de 1976 à 2018. La spectrométrie de masse à haute résolution a permis de détecter des PFAS qui n’avaient pas été caractérisés auparavant. Plus de 90 % des échantillons contenaient au moins un PFAS et l’équipe a décelé jusqu'à 113 composés dans un seul échantillon. En outre, elle a mis au jour des niveaux plus faibles de PFAS dans les fumiers d'élevage que dans les matières résiduaires d'origine urbaine. Dans les déchets urbains, les chercheurs ont trouvé des niveaux élevés de PFAS qui ne sont pas couramment surveillés, ce qui laisse entendre que les études précédentes ont sous-estimé les niveaux totaux de PFAS.

Les échantillons urbains d’il y a quelques années contenaient des teneurs plus élevées de PFAS de l'époque, tandis que les échantillons d’aujourd’hui étaient dominés par des composés émergents appelés «fluorotélomères», qui pourraient se dégrader en PFAS plus persistants dans l'environnement, indiquent les chercheurs.

Qu’en est-il au Canada?

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«Cette étude a été réalisée avec des échantillons prélevés en France, puisque plusieurs observatoires français de recherche en environnement et en agronomie – l’INRAE, le SOERE PRO et le Cirad – réalisent des suivis de longue durée quant au recyclage agricole des produits résiduaires. Ils avaient ainsi accès à une banque très précieuse d’échantillons recueillis pendant des dizaines d’années pour effectuer ce genre d’analyses. On peut présumer que la situation au Canada est comparable, mais nous ne pouvons l’affirmer, faute d’études», mentionne le professeur Sauvé.

Toutefois, les PFAS ont déjà été détectés dans les environnements canadiens, dans l’eau de rivière et l’eau potable, dans les produits de la pêche ainsi que dans les eaux usées domestiques. Santé Canada a montré que certains contaminants perfluorés utilisés auparavant avaient été décelés dans le sang de plus de 95 % des Canadiens. Ces substances peuvent être transportées sur de grandes distances et se bioaccumuler dans les chaînes alimentaires, ce qui explique leur détection dans la faune du Haut-Arctique canadien.

Depuis une quinzaine d’années, le Canada a mis en place une approche visant à éliminer progressivement les perfluorés les plus préoccupants, en limitant leur utilisation à certaines exemptions. Les niveaux d’exposition aux anciennes substances ont d’ailleurs baissé ces dernières années dans la population canadienne, tandis que le statut des PFAS émergents demeure pour le moment peu documenté.

À propos de cette étude

L’article «Target and Nontarget Screening of PFAS in Biosolids Composts, and Other Organic Waste Products for Land Application in France» a été publié dans Environmental Science & Technology le 20 octobre 2021.

L’étude a été financée par l'Alliance nationale de recherche pour l'environnement, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, le Fonds de recherche du Québec – Nature et technologies, la Fondation canadienne pour l'innovation, le Programme stratégique de recherche et développement en environnement et la bourse de doctorat en génie de l’Université McGill.

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