Langues: plus on en apprend, mieux c’est!
- Revue Les diplômés
Le 29 octobre 2021
- Martin LaSalle
Les professeures Phaedra Royle et Françoise Armand de l’UdeM expliquent comment une langue s’apprend et pourquoi être bilingue ou plurilingue constitue un atout tout au long de la vie.
Alors que 60 % de la population mondiale est bilingue, seulement 35 % des Canadiennes et Canadiens parlent plus d’une langue. Or, si le bilinguisme et le plurilinguisme constituent un atout au travail, ils sont aussi bénéfiques sur les plans cognitif et sociétal, d’après les professeures de l’Université de Montréal Phaedra Royle et Françoise Armand.
Lorsqu’il est question d’apprendre une langue, la compréhension précède l’expression. Ainsi, avant de pouvoir dire «maman» ou «papa» – et d’exprimer plus tard qu’il ne veut pas aller au lit! –, le nourrisson s’est accoutumé au langage de ses parents.
Mais les poupons sont capables d’encore plus: de nombreuses recherches démontrent que, s’ils sont en contact avec plusieurs langues, ils ont le potentiel de toutes les apprendre. Le cerveau d’un bébé est non seulement capable d’intégrer le langage propre à différentes langues, mais il peut aussi les distinguer.
«Certaines compétences langagières s’acquièrent avant la naissance, car le fœtus a une connaissance de certains sons des langues de son environnement: si son père est anglophone et sa mère francophone, il s’intéressera aux deux langues», souligne Phaedra Royle, professeure et directrice du programme en orthophonie à l’École d'orthophonie et d'audiologie de l’Université de Montréal.
De plus, l’apprentissage d’une deuxième langue ne nuit pas à la maîtrise de la langue maternelle, tel le français. C’est plutôt le contraire.
Les résultats d’une étude menée il y a cinq ans par Mme Royle et la postdoctorante Alexandra Marquis auprès de 157 enfants de maternelle et de première année montrent que ceux qui étaient bilingues étaient «aussi bons, sinon un peu meilleurs dans leurs résultats scolaires, notamment en ce qui a trait à la conjugaison des verbes irréguliers», précise celle qui est titulaire d’un doctorat en linguistique de l’UdeM.
Des bienfaits sur le plan cognitif
L’avantage le plus significatif du bilinguisme ou du plurilinguisme se situe sur le plan cognitif, plus précisément à l’échelon des fonctions exécutives. Connaître plus d’une langue améliore, à long terme, la flexibilité mentale responsable de l’attention sélective, de la concentration, de la planification et de la résolution de problèmes.
Les études montrent aussi que, s’il est plus difficile d’apprendre une deuxième langue après la puberté – et de la parler sans accent –, il n’y a pas d’âge pour s’y mettre et réussir.
Mme Royle indique en outre que les récentes recherches sur le cerveau et l’acquisition du langage démontrent que le savoir – telle la connaissance des règles de grammaire – se situe dans notre mémoire déclarative, alors que les habiletés – comme parler avec facilité, sans analyser chaque mot, tel qu’on le fait dans sa langue maternelle – résident dans notre mémoire procédurale. «Somme toute, nous n’avons pas besoin d’une grammaire explicite pour apprendre à parler une autre langue, mais plutôt d’une grammaire implicite», précise-t-elle.
Ses recherches avec Lauren A. Fromont et Mme Marquis ont révélé qu’une personne n’a besoin d’être en contact que de 25 à 30 % de son temps avec une langue seconde – par exemple au travail – pour acquérir une connaissance suffisante des structures de cette langue. «Plus encore, nous avons observé que, lorsqu’un adulte passe plus de 30 % par jour en moyenne dans un milieu où l’on s’exprime en français, ses réponses neuronales sont analogues à celles des personnes unilingues francophones», ajoute la spécialiste de la neurolinguistique.
Une éducation inclusive
Si l’apprentissage de plusieurs langues est bon pour le cerveau, cela l’est aussi pour construire une société ouverte et inclusive. Pour Françoise Armand, professeure au Département de didactique de l’UdeM dont les recherches portent sur l’enseignement du français en milieux pluriethniques et plurilingues, il va de soi que l’école a pour mission de soutenir l’apprentissage du français, dont la maîtrise est nécessaire pour la réussite scolaire. Mais, «l’école se doit également de reconnaître, en mettant en place des approches plurilingues, le bagage linguistique des élèves issus de l’immigration et de favoriser le développement de leur compétence plurilingue et pluriculturelle», poursuit Mme Armand.
D’ailleurs, l’UNESCO soutient que les systèmes éducatifs inclusifs suppriment les obstacles à la participation et à la réussite des apprenants, respectent la diversité de leurs besoins, capacités et caractéristiques, en plus d’éliminer toute forme de discrimination.
Françoise Armand estime aussi que l’école doit viser à mettre en œuvre une éducation interculturelle qui permet de préparer tous les élèves québécois au vivre-ensemble, au contact avec l’autre et avec la langue de l’autre, grâce à des activités d’éveil aux langues.
Des pistes d’intervention
S’il faut un «certain courage institutionnel» pour inclure le plurilinguisme comme orientation dans les programmes et les pratiques, Françoise Armand propose dans le projet ÉLODiL (Éveil au langage et ouverture à la diversité linguistique) plusieurs pistes d’intervention au préscolaire, au primaire et au secondaire.
«L’éveil aux langues fait prendre conscience aux élèves de la diversité des langues et des êtres qui les parlent, explique-t-elle. Il les mène également à acquérir des capacités d’observation sur le fonctionnement des langues au cours des multiples activités offertes.»
Une autre piste qu’elle présente, inspirée des approches plurilingues, est un projet d’écriture de textes identitaires et d’ateliers d’expression théâtrale plurilingues. Dans un projet de recherche-action mené dans des classes d’accueil au secondaire à Montréal, Françoise Armand a démontré que des élèves allophones ayant pris part à ces ateliers ont exprimé des idées plus riches, écrit des textes plus longs et amélioré leur vocabulaire en français langue seconde, comparativement à ceux qui n’y ont pas participé.
Dans une recherche-action récente, elle a également créé une application – les Albums plurilingues ÉLODiL – qui rend accessibles, en classe et en milieu familial, 11 albums de littérature jeunesse en français et traduits dans une vingtaine de langues. Ce projet a permis de montrer que, à la suite de l’exploitation de ces albums plurilingues au moyen de plusieurs activités ciblant le développement langagier, les enfants ont des représentations plus positives sur le français. En effet, le «détour» par d’autres langues renforce l’engagement des enfants à l’apprendre. On observe aussi des effets positifs sur la compréhension orale de récits, les habiletés narratives, le vocabulaire et les concepts de l’écrit.
«Il faut favoriser des pratiques innovantes en matière de diversité linguistique et de reconnaissance du plurilinguisme chez les élèves de toutes les origines, conclut Françoise Armand. Conformément à la mission de l’école québécoise, ces pratiques encouragent le développement d’un savoir-vivre commun au sein d’une école francophone, démocratique, pluraliste et j’ajoute… plurilingue!»