Remboursement de la taxe sur le carbone: l'histoire non racontée

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De nombreux Canadiens ne savent pas qu'ils peuvent obtenir un tel crédit d’impôt, selon une nouvelle enquête internationale à laquelle participe le politologue Erick Lachapelle, de l'UdeM.

Erick Lachapelle

Taxer les entreprises et les consommateurs pour la quantité d'émissions de carbone qu'ils produisent peut être un excellent moyen de lutter contre les changements climatiques – c'est ce que disent de nombreux politiciens, économistes et militants écologistes de premier plan. Au Canada, nous avons une taxe fédérale sur le carbone depuis le début de 2019.

Pourtant, ce type de taxe suscite la controverse partout où il est adopté ou proposé, faisant même perdre des élections à des dirigeants politiques. Les partisans de cette mesure préconisent de recycler les recettes de la taxe carbone aux particuliers par exemple sous forme de crédits d'impôt – et certains pays comme le Canada le font déjà.

Pour savoir si de telles mesures incitatives rallient réellement les gens à cette politique, un groupe international de politologues a interrogé des milliers de personnes au Canada et en Suisse, où des crédits d'impôt sur le carbone sont versés.

Les conclusions des chercheurs et chercheuses sont publiées aujourd'hui dans la revue Nature Climate Change. Nous nous sommes entretenus avec l’un des coauteurs de l'étude, Erick Lachapelle, professeur agrégé de science politique à l'Université de Montréal, au sujet de l'enquête et de ses répercussions sur les politiques publiques – et les attitudes du public – ici au pays.

Qui, au Canada, peut bénéficier d'un crédit de taxe sur le carbone?

Un grand nombre de personnes. Si vous vivez en Ontario, au Manitoba, en Saskatchewan ou en Alberta, vous êtes assujetti à la politique fédérale de la taxe sur le carbone et du dividende, qui recycle les recettes de la taxe sur le carbone aux particuliers sous forme de crédits d’impôts fédéraux. Ailleurs au pays, comme en Colombie-Britannique et au Québec, le gouvernement provincial est responsable de la tarification du carbone et a mis en place une approche différente de la politique fédérale.

Et vous avez sondé les résidants de toutes ces provinces?

Oui, nous avons sondé des personnes vivant dans toutes les provinces où la taxe fédérale est appliquée, à l'exception du Manitoba. Nous voulions évaluer l'opinion publique dans cinq provinces où la tarification du carbone est à la fois fédérale et provinciale. Nous avons donc étudié l'Alberta, la Colombie-Britannique, l'Ontario, le Québec et la Saskatchewan sur cinq périodes: avant la mise en œuvre de la taxe fédérale sur le carbone (février 2019), peu après son entrée en vigueur (avril 2019), après que les gens ont reçu leurs premiers remboursements (juillet 2019), après une élection fédérale où la mesure était un enjeu électoral (novembre 2019) et un an après la mise en application de la taxe (mai 2020).

Qu'avez-vous constaté?

Que les Canadiens semblent mal renseignés dans l'ensemble. Pour que les remises aient un effet sur le soutien du public à la taxe sur le carbone, il faut d'abord que les gens en soient informés, ce qui est loin d'être toujours le cas. Beaucoup nous ont dit qu'ils ne savaient pas s'ils avaient reçu un crédit d’impôt à cet effet: 17 % en Ontario et en Saskatchewan et entre 33 et 36 % en Colombie-Britannique et au Québec. Seulement 55 % des résidants de l'Ontario croyaient, à juste titre, avoir reçu un remboursement. La Saskatchewan est le seul endroit où la sensibilisation est élevée: 75 %.

Et parmi les personnes qui ont obtenu le crédit, certaines savaient-elles à combien il s’élevait?

Étonnamment peu. Dans les deux provinces – l'Ontario et la Saskatchewan – où les contribuables étaient admissibles au crédit d'impôt du fédéral pendant toute la période de notre étude, la plupart des gens sous-estimaient la somme que leur ménage récupérait. En Ontario, celle-ci a été sous-estimée de 9 % et en Saskatchewan de 29 %. Même si la plupart des ménages récupéraient plus d'argent qu'ils en payaient en taxes sur le carbone à la pompe à essence et ailleurs, presque tous les répondants pensaient que le contraire était vrai.

Si les gens étaient mieux informés, surmonteraient-ils leur perception erronée?

On pourrait le penser, mais pas nécessairement. Nous avons fourni des informations supplémentaires à la moitié des répondants, choisis au hasard, en Saskatchewan et en Ontario, pour voir si cela permettrait de corriger le malentendu sur la tarification du carbone. Il est vrai qu'ils ont fini par donner des estimations plus précises de leurs remises, mais c'est tout. Ils ne sont pas devenus plus favorables à la tarification du carbone en tant que telle.

C'est surprenant. Comment l'expliquez-vous?

C'est souvent une question de parti politique que les gens soutiennent. Nous avons constaté que les électeurs conservateurs étaient plus susceptibles de déclarer avoir été influencés par des publicités négatives sur la tarification du carbone. Lorsque ces électeurs ont reçu des informations exactes, ils ont mis à jour les estimations de leurs crédits de taxe, mais c'était toujours moins que les électeurs libéraux. Même après avoir appris qu'ils recevaient plus d'argent, les électeurs conservateurs étaient plus enclins à dire qu'ils croyaient payer plus que ce que leur rapporte le programme de taxe et de remise sur le carbone.

Qu'espérez-vous que les décideurs politiques retiennent de votre enquête?

Plusieurs choses, mais surtout que les remises en elles-mêmes ne sont pas une solution facile pour convaincre le public de soutenir la taxe sur le carbone. Partisanerie mise à part, beaucoup de gens ne sont tout simplement pas au courant de l'existence des crédits et beaucoup sous-estiment leur valeur. Pour contrer cette perception, les gouvernements pourraient essayer de rendre les remises plus visibles en émettant des chèques et en les envoyant par la poste. De fait, Ottawa prévoit déjà le faire – et en tant qu’équipe de recherche nous comptons en évaluer la portée.

À propos de cette étude

L’article «Limited impacts of carbon tax rebate programmes on public support for carbon pricing», par Erick Lachapelle et ses collègues de l'Université de la Colombie-Britannique (Kathryn Harrison), de l'Université de Berne (Isabelle Stadelmann-Steffen) et de l'Université de Californie à Santa Barbara (Matto Mildenberger), a été publié le 24 janvier 2022 dans Nature Climate Change.

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