Le secret des champignons mycorhiziens

Le bolet orangé («Leccinum aurantiacum») est un champignon de type ectomycorhizien.

Le bolet orangé («Leccinum aurantiacum») est un champignon de type ectomycorhizien.

Crédit : Tomas Cekanavicius, CC BY-SA3.0

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Des chercheurs de l’UdeM ont découvert que les mycorhizes favorisent une plus grande diversité des espèces d’arbres composant les forêts d’Amérique du Nord.

Les champignons, plus précisément ceux appelés «mycorhiziens», sont des alliés naturels de la forêt, car ils permettent aux arbres de s’alimenter plus facilement. Mais laquelle des stratégies nourricières de ce type de champignons permet la plus grande diversité d’arbres dans une forêt, se sont demandé des biologistes de l’Université de Montréal et de l’Institut de recherche en biologie végétale: la stratégie A (l’ectomycorhize) ou la stratégie B (la mycorhize arbusculaire)? Ni l’une ni l’autre, mais le mélange des deux, a démontré l’analyse à laquelle ils se sont livrés. Comme quoi, l’union fait la force ou plutôt la diversité.

La formidable capacité nourricière de la mycorhize

«La mycorhize, du grec myco-, “champignon”, et rhiza, “racine”, est une association intime entre des plantes et des champignons qui existe depuis plusieurs millions d’années et qui serait même à l’origine de la colonisation de la terre ferme par les plantes, explique Alexis Carteron, premier auteur de l’étude et titulaire d’un doctorat en sciences biologiques de l’UdeM. Cette association positive pour les deux partenaires est incontestablement la “symbiose mutualiste” la plus répandue et la plus importante dans les écosystèmes terrestres.»

En botanique, les champignons mycorhiziens sont connus depuis longtemps pour le grand avantage nutritionnel qu’ils confèrent aux plantes en leur permettant de mieux absorber l'eau et les minéraux du sol par un important prolongement du système racinaire qui peut aller jusqu'à 10 fois la surface initiale des racines. Par exemple, les champignons mycorhiziens sont capables de dissoudre le phosphore présent dans le sol et de le rendre accessible aux plantes. En retour, la plante fournit aux champignons du sucre produit par la photosynthèse.

«Depuis quelque temps, il y a un intérêt grandissant quant au rôle des mycorhiziens comme moteur de la biodiversité végétale», souligne Etienne Laliberté, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en biodiversité fonctionnelle végétale à l’UdeM, qui a dirigé cette recherche.

Des champignons, deux stratégies

Sur la droite, un érable à sucre (forme une mycorhize arbusculaire) cohabite tronc à tronc avec un hêtre à grandes feuilles (forme une ectomycorhize).

Crédit : Alexis Carteron

En effet, il existe deux grands types de mycorhize: l’ectomycorhize et la mycorhize arbusculaire, mais ces deux types semblent influencer de manière différente la diversité des espèces d'arbres qu’on peut trouver en forêt.

L’ectomycorhize concerne environ 2 % des espèces de plantes, essentiellement des arbres résineux des forêts de l’hémisphère Nord. La mycorhize arbusculaire est la forme la plus ancienne et la plus répandue d’association symbiotique entre les champignons et les plantes, puisqu’elle concerne 80 % des plantes terrestres. La première se différencie tout simplement de la seconde par la façon dont le champignon se lie aux racines de la plante.

Selon les scientifiques, les forêts dont les sols sont colonisés par la mycorhize arbusculaire seraient plus diversifiées. Par exemple, la forêt tropicale humide, qui est très riche en espèces d’arbres, est connue pour être principalement composée d'arbres formant une mycorhize arbusculaire. À l’inverse, la forêt boréale est dominée par des arbres à ectomycorhize et est plus pauvre en diversité.

C’est la raison pour laquelle les chercheurs pensaient que la mycorhize arbusculaire chez les plantes favoriserait la coexistence et la diversité des espèces végétales, tandis que l’ectomycorhize favoriserait la domination d'une ou de seulement quelques espèces.

Les études expérimentales sur de jeunes pousses d’arbres ainsi que les observations à large échelle dans différents biomes terrestres – zones géographiques qui partagent un climat, une faune et une flore similaires – semblaient aussi valider cette hypothèse. C’est cette hypothèse que cette nouvelle étude vient remettre en cause.

Plus de 80 000 parcelles forestières analysées

En effet, les arbres des forêts interagissent entre eux et avec les champignons mycorhiziens de façon très localisée (sur quelques mètres) et durant des périodes de plusieurs décennies. Il restait donc à Alexis Carteron et Etienne Laliberté à tester cette hypothèse sur des parcelles forestières, c’est-à-dire sur une zone de quelques centaines de mètres carrés, et ce, pour une multitude de forêts afin de vérifier si les résultats pouvaient être généralisés.

«Nous avons analysé environ 82 000 parcelles forestières à travers les États-Unis et conclu que les parcelles qui étaient très fortement dominées soit par l’ectomycorhize ou, à l’inverse, par la mycorhize arbusculaire présentaient une diversité d'arbres relativement plus faible», explique Alexis Carteron, qui poursuit actuellement des études postdoctorales au département des sciences et politiques de l'environnement de l’Université de Milan.

«Étonnamment, ce sont les forêts avec un mélange des deux stratégies mycorhiziennes qui possèdent un plus grand nombre d'espèces d'arbres, poursuit-il. Nos résultats indiquent donc que la dominance d’une mycorhize, peu importe son type, semble diminuer la diversité des arbres dans les forêts.»

Les mycorhizes pour lutter contre les changements climatiques

Même si la dominance mycorhizienne peut être déterminée à plusieurs échelons, comme celui du système racinaire, de la parcelle forestière ou même du biome, l’étude souligne l'importance de considérer l'incidence de la mycorhize sur les processus écologiques à l'échelle de la parcelle forestière. À cette échelle, la coexistence de stratégies mycorhiziennes peut agir comme un promoteur de la diversité végétale.

«Parfois, les forêts présentant un mélange de stratégies mycorhiziennes ne sont pas prises en compte par les biologistes, car elles sont considérées comme moins abondantes. Cependant, notre étude a montré que ce n'est pas toujours le cas et ces forêts pourraient même représenter une grande partie des forêts du globe», mentionnent les chercheurs.

Ce type de forêt peut en effet représenter une avenue cruciale pour la recherche et la gestion forestière visant à accroître les services fournis par les écosystèmes: «Combattre les dérèglements climatiques et s’y adapter en est un bon exemple, car une forêt prospère où l’on trouve une grande diversité d’arbres représente un réservoir favorable pour l’équilibre du climat», conclut Alexis Carteron.

À propos de cette étude

L’article «Mycorrhizal dominance reduces local tree species diversity across US forests», par Alexis Carteron et ses collaborateurs, a été publié dans Nature Ecology and Evolution le 24 février 2022.

L’étude a été financée par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, le Fonds de recherche du Québec – Nature et technologies et la Bourse d'excellence Hydro-Québec – Université de Montréal.

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