Les jeunes générations changent le visage du marché du travail
- UdeMNouvelles
Le 24 mai 2022
- Béatrice St-Cyr-Leroux
Manque de main-d’œuvre criant, besoin d’autonomie et de reconnaissance, intérêt croissant pour le télétravail: le monde du travail est en mouvance. Et si l’une des causes était générationnelle?
«Les babyboumeurs vivaient pour travailler, les nouvelles générations travaillent pour vivre.»
Voilà qui résume bien la façon dont le marché du travail a évolué au cours des dernières décennies, comme l’a étudié Stéphane Renaud, professeur à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal.
Son programme de recherche porte sur les comportements des travailleurs ainsi que sur les liens entre les pratiques de gestion des ressources humaines, l’engagement et la rétention des employés.
«Les jeunes n’ont plus les mêmes attentes à l’égard du travail, comparativement aux babyboumeurs ou aux gens de la génération X. Dans leur vie, les millénariaux vont travailler pour sept ou huit employeurs, alors que c’est beaucoup moins pour les générations précédentes. Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, les travailleurs ont plus d’options que jamais. Et avoir plus de choix mène à être plus revendicateur en termes de conditions de travail», dit le professeur.
Le salaire est important, mais pas uniquement
Depuis le début des années 2000, Stéphane Renaud s’intéresse aux effets de la rémunération tangible – le salaire – et de la rémunération intangible – les conditions de travail – sur le roulement volontaire du personnel dans le secteur des technologies de l’information et de la communication, en collaboration avec Sylvie St-Onge, de HEC Montréal, et Lucie Morin, de l’Université du Québec à Montréal. Si l’équipe cible un secteur particulier, M. Renaud croit que ses observations sont transférables à d’autres domaines.
La rémunération intangible concerne tout ce que les employeurs offrent à côté du salaire: autonomie, possibilité de se réaliser au travail, perfectionnement, reconnaissance, climat satisfaisant.
Au fil de ses études, l’équipe a constaté que ce qui retient le plus les jeunes, c’est cette portion intangible, particulièrement la reconnaissance, à condition que le salaire de réserve, c’est-à-dire le salaire nécessaire pour financer son train de vie, soit suffisant, précise Stéphane Renaud.
«Dans une récente étude, nous avons observé que, chez les plus de 40 ans, la rémunération tangible favorise l’engagement et retient les employés, alors que chez les moins de 40 ans les salaires ne font que retenir les travailleurs, mentionne-t-il. L’engagement fidélise les employés et les incite à rester. Donc, chez les jeunes, lorsque le salaire de réserve est au rendez-vous, plus on offre d’éléments de rémunération intangible, plus l’intention de s’en aller diminue.»
Le chercheur ajoute que les jeunes salariés valorisent aussi de plus en plus l’adéquation entre leurs valeurs et celles de l’entreprise, notamment en matière de responsabilité sociale, de respect de l’environnement et de gestion transparente et éthique.
Le télétravail, un puissant outil de rétention
Selon Stéphane Renaud, un meilleur équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle figure également au sommet des priorités des jeunes travailleurs. Et le télétravail est l’un des meilleurs moyens d’offrir cette balance.
«Les employeurs ont intérêt à proposer le télétravail et à le maintenir même dans un contexte sans pandémie. Rappelons que l’autonomie est un facteur de rétention des employés et que la nature du travail a changé. La main-d’œuvre est plus que jamais scolarisée, qualifiée et experte, nous ne sommes plus dans un monde d’ouvriers qui doivent être sous l’œil constant d’un superviseur», note le professeur.
Il renchérit en affirmant que le télétravail est avantageux dans le cadre d’une bonne gestion des ressources humaines, mais aussi en termes économiques, particulièrement dans un contexte d’inflation.
«Le rapport de force se trouve davantage du côté des salariés. De plus en plus, les travailleurs vont exiger le télétravail – entre autres pour plus de flexibilité et pour réduire les coûts liés au déplacement – et les employeurs devront apprendre à faire confiance. Encore plus dans un contexte de pénurie où les entreprises se font la guerre pour conserver leurs employés», conclut-il.
Le Québec sous l’effet d’une «grande démission»?
La great resignation est une expression inventée par un universitaire américain pour décrire les millions de démissions aux États-Unis à partir de l’été 2020. Insatisfaits de leur travail ou de leur salaire, ces Américains ont quitté massivement leur emploi quand la pandémie les a invités à revoir leurs priorités.
Ce phénomène existe-t-il aussi au Québec? «C’est un concept à la mode, mais vide de sens dans une certaine mesure, puisqu’il décrit une réalité qui existe depuis plusieurs années, pense Stéphane Renaud. À mon sens, la pandémie a seulement exacerbé un phénomène déjà en place, soit la pénurie de main-d’œuvre, les nombreux départs à la retraite. En somme, le marché du travail évolue et cette transformation s’incarne surtout dans les changements liés aux attentes des salariés.»