Après deux ans de pandémie, quel avenir pour le télétravail et le travail en mode hybride?
- UdeMNouvelles
Le 27 mai 2022
- Martin LaSalle
La professeure Tania Saba, de l’École de relations industrielles de l’UdeM, fait état de ses recherches sur le télétravail et le travail en mode hybride depuis le début de la pandémie.
Devenu la norme pour de nombreuses entreprises et sociétés pendant la pandémie, le télétravail constitue-t-il une expérience réussie? S’agit-il d’une voie d’avenir viable en matière d’organisation du travail et, si oui, pour qui et à quelles conditions?
C’est à ces principales questions qu’a répondu la professeure Tania Saba, le 12 mai, à l’occasion d’une conférence organisée par l’Association des diplômés et des diplômées de l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal en collaboration avec l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés et le Centre de développement professionnel de la Faculté des arts et des sciences de l'UdeM.
La rencontre a permis à la fondatrice et titulaire de la Chaire BMO en diversité et gouvernance de faire le point sur ce nouveau modèle d’organisation du travail.
Une «vieille» pratique en plein essor
Tania Saba a rappelé que, bien avant l'époque de Skype et des appels Zoom ou Teams, c’est l’ingénieur de la NASA Jack Nilles qui a jeté les bases du travail à distance moderne en introduisant le terme télétravail en 1973. L’homme avait été mandaté pour trouver un nouveau mode de travail tandis qu’éclatait la crise du pétrole.
Au cours de la décennie suivante, à la faveur de la troisième révolution industrielle provoquée par l’évolution des technologies de l’information et de la communication, le télétravail a surtout permis d’accommoder les employés quant à leurs horaires.
Ce mode de travail n’a d’ailleurs pas connu un grand engouement par la suite: en 2008, on estimait que 8 % de la main-d’œuvre en Amérique du Nord faisait du télétravail de façon régulière, à raison de quelques jours par mois. Deux ans avant la pandémie de COVID-19, cette proportion était de 13 %…
«Tout au long de la pandémie, on estime que de 30 à 50 % des organisations ont maintenu leurs activités en télétravail, souligne Tania Saba. Cet essor, issu de la nécessité de s’organiser malgré le confinement, a été rendu possible grâce aux avancées technologiques des dernières années.»
Une étude éclairante basée sur 29 000 répondants
Au cours des années 2020 et 2021, Tania Saba et son équipe ont mené une étude afin de déterminer, entre autres, les facteurs d’efficacité et de réussite du télétravail et du travail en mode hybride.
En tout, quelque 29 000 personnes d’ici et d’ailleurs dans le monde ont répondu aux questionnaires de l’équipe. En voici les principaux résultats.
«Globalement, 84 % des répondants se disent plus efficaces en télétravail, et ce, malgré une plus grande charge de travail pour bon nombre d’entre eux, indique la professeure. Ils ont majoritairement dit s’être réapproprié leur emploi du temps en réduisant notamment leur temps de transport.»
De fait, elle a observé que les gens qui travaillent à distance estiment avoir une meilleure qualité de vie et ressentent un plus grand mieux-être. Et si le genre n’a que peu d’incidence sur le degré de satisfaction à l’endroit du télétravail, l’âge en a un: plus on est vieux, plus on souhaite travailler à distance.
Les gestionnaires ont aussi apprécié le télétravail avec le temps: s’ils étaient 37 % à vouloir poursuivre l’expérience en juin 2020, cette proportion a atteint 70 % l’automne suivant! «C’est une évolution importante à laquelle nous avons assisté», mentionne Tania Saba.
Mais le télétravail n’a pas que du bon.
«Les conditions de travail différaient beaucoup selon la taille des organisations, nuance la professeure. Et plusieurs ont souffert d’isolement: nombreux sont celles et ceux qui s’ennuient des discussions entre collègues autour de la machine à café, mais qui se sentent aussi loin des prises de décision dans l’entreprise. Pour ces gens-là, plus l’isolement est grand, moins le télétravail s’avère satisfaisant.»
Organiser le travail selon les tâches plutôt qu’en fonction des horaires
Si plus de 80 % des personnes interrogées qui ont expérimenté le travail à distance souhaitent sa poursuite après la pandémie, il est important de noter que moins de 20 % des répondants espèrent le conserver à raison de cinq jours par semaine. Alors, à quoi devrait ressembler le télétravail à plus long terme?
«Je n’ai pas de boule de cristal pour prédire ce qu’il adviendra, mais nos participants ont dit être efficaces au travail et améliorer leur qualité de vie en conservant autour de 65 % de leurs tâches à distance», signale Tania Saba.
Nombre d’organisations ont voulu adopter rapidement des politiques fixant des horaires de télétravail et de travail en présentiel. Cette facilité d’implantation à court terme risque d’occulter les avantages de repenser la distribution des tâches entre travail à distance et présentiel selon leurs finalités et la disponibilité des outils technologiques pour faciliter le flux du travail parmi les membres des équipes.
«Déterminer des horaires fixes pour tous les employés ne relève pas de l’équité, comme certains pourraient le croire, avertit Tania Saba. Il risque d’en découler des incohérences qui, au contraire, vont reproduire des iniquités qui porteront préjudice à certains employés.» Selon elle, l’équité réside dans les conditions d’emploi qui sont offertes.
Ainsi, pour être viable, le travail à distance doit être prévisible pour l’entreprise, mais il doit aussi reposer sur la nature des tâches à effectuer – certaines étant compatibles avec le télétravail et d’autres ne l’étant pas.
«Il importe de mesurer la valeur ajoutée que peut procurer le travail au bureau et le travail à distance en comparant des comparables, ajoute la chercheuse. Pour ce faire, il faut se donner du temps pour expérimenter différentes façons de faire et adapter les pratiques afin d’assurer la viabilité des entreprises et sociétés.»
Vers un nouveau mode d’organisation du travail
Les nouveaux modèles d’organisation du travail gagneraient à être élaborés en considérant les valeurs que les différentes générations attribuent au travail, selon Tania Saba. Avec les forces montantes que sont les générations Y et Z – encore plus hédonistes, moins portées vers la conformité et plus à la recherche de sens au travail –, «sortir du cadre de la semaine de travail pour adopter des cycles conformes aux missions des équipes, des services et de l’entreprise» s’impose.
«À l’heure de la quatrième révolution industrielle et de l’introduction des technologies numériques et de l’intelligence artificielle dans les milieux de travail, les systèmes d’emploi doivent être repensés, conclut la professeure. Pourquoi ne pas faire des modalités hybrides une composante importante de cette évolution?»