Analyser la venue du pape au Canada

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Le professeur de l’UdeM Jean-François Roussel analyse la visite prochaine du pape axée sur le dialogue avec les communautés autochtones canadiennes.

 Jean-François Roussel

Jean-François Roussel

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À la fin du mois de juillet, le pape François visitera Edmonton, Québec et Iqaluit dans la perspective du processus de réconciliation entre l’Église catholique et les communautés autochtones entamé au début de l’année à Rome.

On s’attend à ce que le souverain pontife réitère en personne les excuses exprimées à Rome pour les mauvais traitements que les Autochtones ont subis de la part des membres de l’Église, notamment dans le contexte des pensionnats.

On dit d’ailleurs que la culture et la spiritualité autochtones seront les composantes centrales de toutes les activités auxquelles le saint-père participera. Mais à quoi sert vraiment un tel voyage papal?

Jean-François Roussel, professeur à l’Institut d’études religieuses de l’Université de Montréal, qui s’intéresse à la réconciliation comme élément de décolonisation après les pensionnats autochtones, nous aide à y voir plus clair.

Qu’est-ce qui est attendu de la visite du pape en matière d’excuses?

La demande no 58 du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada était la suivante: «Nous demandons au pape de présenter, au nom de l’Église catholique romaine, des excuses aux survivants, à leurs familles ainsi qu’aux collectivités concernées pour les mauvais traitements sur les plans spirituel, culturel, émotionnel, physique et sexuel que les enfants des Premières Nations, des Inuits et des Métis ont subis dans les pensionnats dirigés par l’Église catholique. Nous demandons que ces excuses soient semblables à celles faites en 2010 aux Irlandais qui avaient été victimes de mauvais traitements et à ce qu’elles soient présentées par le pape au Canada, dans un délai d’un an suivant la publication du présent rapport.»

Puisque ce rapport avait été publié en 2015, il était demandé que les excuses soient présentées en 2016. L’objet des excuses est bien précisé dans la demande. Le modèle soumis est celui des excuses de Benoit XVI aux victimes de mauvais traitements dans des pensionnats irlandais. La Commission de vérité et réconciliation critiquait le fait qu’à offenses similaires le Saint-Siège n’avait pas répondu de manière similaire. En effet, les attentes relatives aux excuses de l’Église catholique sont beaucoup plus anciennes que la Commission.

Par ailleurs, la Commission a aussi demandé que le Saint-Siège répudie la «doctrine de la découverte», plus précisément un ensemble de décrets papaux datant surtout du 15e siècle par lesquels des royaumes européens – l’Espagne et le Portugal – se voyaient assurer la possession des terres découvertes ou à découvrir. C’est notamment le cas de la bulle [décret] Inter caetera de 1493. Diverses instances et auteurs autochtones soutiennent que ces décrets ont influencé profondément le droit international et continuent d’entraver la reconnaissance des droits territoriaux des peuples autochtones au Canada et ailleurs dans le monde. Les autres Églises et des coalitions œcuméniques ont répudié la doctrine de la découverte. La Conférence des évêques catholiques du Canada l’a fait aussi. Cependant, le Saint-Siège n’a pas répondu positivement à cette demande, affirmant que ces décrets papaux sont invalidés depuis des siècles. Fait notable, personne ne parle de cette question en rapport avec la visite du pape. Elle semble plus abstraite et théorique que l’expérience des pensionnats et son héritage.

Est-ce que la venue du pape peut vraiment faire avancer le processus de réconciliation?

Certainement, dans la mesure où non seulement les excuses papales sont réclamées depuis longtemps, mais l’absence d’excuses papales suscite depuis très longtemps déception et incompréhension. Déjà, les excuses présentées récemment à Rome ont conforté de nombreuses personnes autochtones.

Comment des excuses adressées lors d’une visite sur place sont-elles plus significatives que des excuses formulées outre-Atlantique?

Le pape donne suite à l’autre aspect de la demande, c’est-à-dire venir au Canada pour y présenter les excuses, c’est un geste positif et qui sera bien reçu. Par ailleurs, les Autochtones lui accordent une importance variable: événement historique pour les uns, distraction pour d’autres au regard d’un processus de décolonisation plus large que la «réconciliation».

Faisons une mise en contexte: les survivants et leurs communautés ont régulièrement demandé des excuses de l’Église catholique. Plusieurs congrégations catholiques ont présenté des excuses, à commencer par les Oblats en 1991. Cependant, la Conférence des évêques catholiques du Canada s’y est toujours refusée, affirmant que les diocèses n’avaient généralement pas administré de pensionnats et que ceux-ci n’étaient donc pas sous leur autorité. Du point de vue des survivants et de leurs communautés, c’était un argument légaliste qui dispensait l’épiscopat d’admettre que l’Église catholique ‒ qui avait administré 60 % des pensionnats du Canada ‒, en ses multiples corps constituants, portait une grande responsabilité dans l’histoire des pensionnats. La Conférence a présenté des excuses officielles l’automne dernier, ce qui est un autre geste positif.

Finalement, les excuses du pape ont un autre effet. Si le pape reconnaît le caractère abusif des pensionnats, cela contredit l’attitude de déni qui persiste ici et là dans les coulisses de certains milieux catholiques concernant l’héritage des pensionnats, attitude qui conduit parfois à accuser les survivants de calomnier leurs supposés bienfaiteurs de jadis.

Sa visite devrait-elle être accompagnée de gestes concrets? Et si oui, lesquels sont espérés?

La réconciliation doit comporter beaucoup de gestes concrets. Cependant, je ne suis pas sûr que ces gestes relèvent d’une visite de quelques jours. Il y a dans le dossier des pensionnats un défi de réparation et de restitution qui s’étendra sur des années et même des générations. Certes, il serait bien, par exemple, que le pape restitue les artéfacts autochtones des musées du Vatican et que quelque chose soit annoncé à cet égard.

Je crois aussi que le défi de la réconciliation et de la décolonisation engage davantage les instances catholiques à l’échelle nationale, comme les diocèses ou les congrégations religieuses. Ainsi, la question des compensations financières, qui fait litige depuis des années, concerne des ententes qui avaient été conclues entre les Autochtones et les instances catholiques du Canada. Ces compensations ont pour objectif le financement de projets de guérison. Ou encore, qu’en est-il de la formation du personnel pastoral à l’histoire des pensionnats et aux autres questions autochtones? Ne pourrait-on pas créer des lieux de gouvernance autochtone dans l’Église catholique tels qu’on en trouve dans d’autres Églises canadiennes?

Bref, la visite du pape est un événement positif, attendu depuis longtemps, significatif à son échelle, mais certainement pas une panacée.

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