Hubert Aquin et les médias

Hubert Aquin vers 1971

Hubert Aquin vers 1971

Crédit : © François Séguillon, archives d’Andrée Yanacopoulo.

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Le premier tome d’un vaste projet d’anthologie sur la production médiatique d’Hubert Aquin vient d’être publié. Il jette un éclairage nouveau sur l’œuvre de cet écrivain mythique et homme des médias.

Aldous Huxley, René Lévesque, Michel Butor, Yves Bonnefoy, Francis Poulenc et Edgar Morin sont quelques-unes des sommités qu’Hubert Aquin a interviewées. Ces entrevues sont maintenant réunies dans une vaste anthologie des œuvres médiatiques d’Hubert Aquin. Le premier tome, un imposant ouvrage de plus de 600 pages couvrant la période de 1949 à 1962, vient de paraître.

Nino Gabrielli, diplômé en philosophie et en sciences de l’information de l’Université de Montréal et chercheur collaborateur au Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises, s’est attelé à ce projet titanesque d’édition critique avec la collaboration d’Andrée Yanacopoulo et de François Maltais-Tremblay. Bibliothécaire en philosophie, études religieuses, études classiques et médiévales à la Bibliothèque des lettres et sciences humaines le jour, il y a travaillé méticuleusement les soirs et les fins de semaine depuis 2016.

À la découverte d’un intellectuel fascinant

«Je ne savais pas que des documents de ce genre – lettres, brouillons, aveux jetés sur du papier – avaient un tel pouvoir d’évocation», affirme en 1953 à la Radiodiffusion française le jeune Hubert Aquin à propos d’une exposition soulignant le 50e anniversaire de la mort d’Émile Zola. Il y découvre avec fascination son engagement dans l’affaire Dreyfus.

Cette même fascination, nous la ressentons à notre tour en parcourant, dans l’anthologie de Nino Gabrielli, une multitude de documents rares et jusqu’à présent majoritairement non exploités provenant de Radio-Canada, des bibliothèques de l’Université de Montréal, des archives de l’Université du Québec à Montréal, de Bibliothèque et archives nationales du Québec, de l’Office national du film du Canada (ONF) ainsi que du Centre d’archives Gaston-Miron. Une grande variété de textes s’y trouve: articles et entrevues pour la presse écrite, scénarios de films et d’émissions, plans de travail, rapports de recherche. En annexe, ce corpus est enrichi par des documents iconographiques, des documents épistolaires, des scénarios préliminaires. Pour finir, une médiagraphie exhaustive vient rassembler l’ensemble des productions audiovisuelles auxquelles Hubert Aquin a participé de 1951 à 1962.

«C’est comme si Hubert Aquin avait vécu 12 vies en une tellement il a fait d’affaires différentes! dit le chercheur. Simplement à Radio-Canada, il a été réalisateur à la radio et à la télé, journaliste-intervieweur pour les grandes émissions Carrefour et Premier plan, mais il a aussi écrit des radiothéâtres et des téléthéâtres, en plus d’avoir été animateur, traducteur, adaptateur, organisateur d’émissions…»

Il poursuit: «C’est une constante dans sa vie: il a occupé des postes de direction. À Radio-Canada, il ne se contente pas d’être réalisateur, il a été directeur adjoint d’émissions d’affaires publiques. À l’ONF, en plus d’être réalisateur, il est producteur. Il s’engage aussi au RIN, le Rassemblement pour l’indépendance nationale, où il est vice-président du comité de direction pour la région de Montréal. Il ne va pas seulement écrire des romans ou des articles. Il sera également directeur du Quartier latin en 1950-1951, directeur de la revue Liberté en 1961-1962 et directeur littéraire aux Éditions La Presse dans les années 1970.»

Souligner une pulsion de vie

Le 15 mars 1977, dans les jardins du Collège Villa Maria à Montréal, Hubert Aquin se tire une balle dans la tête. Dès son adolescence, il songe au suicide. Nombre de commentateurs ont glosé sur cette pulsion de mort. Mais c’est sa pulsion de vie que Nino Gabrielli a voulu mettre en lumière. «Il a occupé des postes de pouvoir. Il a travaillé avec acharnement dans des champs divers. Il y avait une immense force vitale qui, je trouve, n’a pas été assez soulignée», indique-t-il.

L’ouvrage présente ainsi de nombreux films et émissions qu’il a réalisés sur les grandes religions, les maladies mentales ou encore les sports… On découvre que cet amateur de courses automobiles aux idées foisonnantes a imaginé en 1962 un premier projet de Grand Prix à Montréal qui verra le jour quelques années plus tard.

Un ouvrage qui s’adresse à tous

Avec ses 686 pages, l’ouvrage peut sembler massif. Oui, il s’adresse aux spécialistes. Mais pas seulement. L’œuvre littéraire d’Hubert Aquin peut paraître ardue à lire et repousser certaines personnes. Mais Nino Gabrielli a pensé que ses textes médiatiques seraient plus faciles d’accès et donneraient ensuite le goût de découvrir les œuvres de fiction d’Hubert Aquin. «Je voulais faire un livre qui soit complet, mais pas un livre qui soit compliqué! Au contraire, je voulais expliquer et contextualiser», mentionne-t-il.

On découvre par exemple une entrevue captivante d’Hubert Aquin avec Aldous Huxley, qui raconte notamment comment il a commencé à écrire, d’où lui vient sa culture scientifique, pourquoi il a expérimenté la mescaline, etc. Certaines questions pourraient sembler lunaires, comme ce moment où l’intervieweur demande à l’auteur du Meilleur des mondes «Vous qui êtes prophète ou utopiste, vous ne croyez pas à un déplacement des surplus de population vers les astres?» Les notes viennent non pas alourdir le texte, mais mettre en contexte. Comme l’explique Nino Gabrielli: «L’impossibilité de migrer vers les astres est abordée par Huxley lui-même, dans des termes analogues aux réponses qu’il donne à Aquin, dans Retour au meilleur des mondes: “Même si, dans l’avenir, l’émigration vers Mars devenait possible, même si un nombre considérable d’hommes et de femmes étaient assez désespérés pour choisir une nouvelle vie dans des conditions comparables à celles régnant au sommet d’une montagne deux fois plus haute que l’Everest, qu’est-ce que cela changerait? Au cours des quatre derniers siècles, nombreux sont ceux qui ont quitté le vieux monde pour le nouveau, mais ni leur départ ni l’apport de denrées et de matières premières affluant en sens inverse n’ont pu résoudre les problèmes de notre continent.”»

Hubert Aquin et l’Université de Montréal

Ce livre nous donne aussi à voir Hubert Aquin étudiant en philosophie à l’Université de Montréal il y a 70 ans sous la direction du professeur Jacques Lavigne. L’un des premiers journaux étudiants dans lequel il a écrit, de 1948 à 1951, est Le Quartier latin, l’ancêtre de l’actuel Quartier libre. Alors directeur de la publication, il fait paraître l’annonce pleine d’humour d’un poste de rédacteur en chef: «Nous voulons un type qui a quelque chose à dire et rien à faire. Quelque chose à dire, c’est-à-dire n’importe quoi; rien à faire, c’est-à-dire un gars de l’Université.»

Un autre document d’archives nous présente les débuts de l’enseignement à distance à l’Université de Montréal… à la télévision de Radio-Canada, dès 1961. «J’imagine que vous ne vous lancez pas dans une entreprise semblable uniquement pour satisfaire les étudiants paresseux ou ceux qui ne veulent pas prendre l’autobus, et que vous souhaitez aussi atteindre une partie du public qui n’est pas à proprement parler inscrite à vos cours», dit alors Hubert Aquin au directeur du Service des émissions éducatives et d’affaires publiques de la société d’État, Marc Thibault, dans une réplique qui fait aujourd’hui réfléchir…

À propos de ce livre

Nino Gabrielli avec la collaboration d’Andrée Yanacopoulo et François Maltais-Tremblay, Hubert Aquin et les médias: anthologie 1949-1977, volume I: 1949-1962, édition critique, Montréal, Léméac, 2022, 686 p.

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