Dinu Bumbaru, le gardien du passé qui prend soin de l’avenir

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Daniel Jutras, recteur de l’UdeM, rencontre le grand défenseur du patrimoine de la métropole, Dinu Bumbaru, directeur des politiques d’Héritage Montréal.

Peu de gens connaissent aussi bien les coins et recoins de Montréal que Dinu Bumbaru. Le diplômé en architecture aime parcourir la ville à pied, carnet et crayons à la main. Il en a tiré des milliers de croquis, dont plusieurs ont été publiés dans Carnet d’un promeneur dans Montréal (Les Éditions La Presse). Surtout, le directeur des politiques d’Héritage Montréal défend depuis plus de 40 ans le patrimoine de la métropole. Du balcon du musée Pointe-à-Callière, où Dinu Bumbaru rencontre le recteur Daniel Jutras, on aperçoit le canal de Lachine, le dernier des grands silos à grains du Vieux-Port et les cubes de béton d’Habitat 67. Le décor est en place pour la discussion.

Daniel Jutras: Qu’est-ce que le patrimoine exactement? J’ai grandi en banlieue, à Greenfield Park. La beauté des lieux ne sautait pas aux yeux, mais j’en garde des souvenirs qui me sont chers. Peut-on parler de patrimoine en l’absence d’une valeur esthétique indéniable?

Dinu Bumbaru: On a longtemps considéré le patrimoine comme deux choses, soit le témoin de l’histoire, soit le signe d’une création exceptionnelle. Mais on se rend compte aujourd’hui que cette notion porte aussi une dimension mémorielle. Les souvenirs, la maison de notre enfance par exemple, forment l’attachement au territoire. Ils font que les gens ont des racines quelque part, dans un lieu et sa géographie, pas seulement dans un arbre généalogique. On commence donc à s’intéresser à la sauvegarde des maisons Shoebox et même de certains bungalows. Cela nous montre que l’idée du patrimoine n’est pas figée. Penser au patrimoine, c’est se demander ce qu’on va laisser aux générations futures.

DJ: Vous avez déjà dit que plusieurs bâtiments aux qualités patrimoniales évidentes, dont la basilique Notre-Dame, n’étaient pas protégés. Où se situe le problème?

DB: Dans l’histoire du combat moderne du patrimoine au Québec, on a utilisé le classement patrimonial comme un appel au 911. Les décisions ont souvent été prises pour éviter le pire à la dernière minute alors qu’on aurait pu aussi faire du classement un mécanisme de reconnaissance, comme cela se fait ailleurs. Toutefois, les choses s’améliorent. Il y a 50 ans, à l’époque où l’on construisait les autoroutes, on estime avoir détruit de 30 000 à 35 000 bâtiments à Montréal, dont beaucoup d’édifices historiques. Entre 1975 et aujourd’hui, sur une période beaucoup plus longue, on dénombre environ 22 000 démolitions. Les défenseurs et les promoteurs du patrimoine auront davantage d’outils dans les années à venir. Le gouvernement du Québec est en train de se doter de sa première politique nationale d’architecture et d’aménagement du territoire. Il faut presque remonter au Régime français pour avoir des tentatives de vision d’ensemble du territoire!

DJ: Les répercussions du télétravail se font sentir dans les centres-villes. Selon vous, quel sort attend les grandes tours de Montréal?

DB: On ne peut pas imaginer Montréal sans la Place-Ville-Marie. On peut penser que ce serait la dernière tour dont la vocation pourrait être changée par la nouvelle organisation du travail, mais d’autres tours de bureaux pourraient être transformées en tours d’habitation. Par contre, il nous faudra réfléchir à ce que cela représente de vivre dans des gratte-ciels balayés par les vents avec des rez-de-chaussée commerciaux. Va-t-on privilégier les logements familiaux ou les petites unités comme c’est le cas actuellement? Il ne faut pas avoir peur des tours d’habitation, mais soyons parcimonieux. On en construit déjà beaucoup au nom de la densification, mais sans voir aux effets sur l’espace et le paysage urbains. La Ville a investi 120 M$ pour faire de la place des Festivals un lieu public génial… qui est en train d’être encerclé par des complexes de condos.

DJ: J’aimerais connaître vos préférences en matière de patrimoine. Êtes-vous plus sensible au modernisme d’Habitat 67 ou au faste ancien du Mille carré doré?

DB: Ce qui me touche lorsque j’observe un bâtiment, c’est le bel ouvrage et l’aventure humaine qu’il évoque. Cela ne s’arrête pas à la réalisation. La construction doit être bien utilisée et traverser le temps. Du bel ouvrage, on en trouve partout, sur la façade de nos écoles ou dans la virtuosité de certains clochers ou escaliers de triplex. La Place-Ville-Marie, Habitat 67, c’est du bel ouvrage. Le viaduc Glen à Westmount, avec sa magnifique arche en pierre, aussi.

Penser au patrimoine, c’est se demander ce qu’on va laisser aux générations futures.

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