Santé mentale: une tâche colossale

Au Québec, un patient sur trois qui se présente aux urgences est aux prises avec un problème de santé mentale en raison du manque de services et de soutien dans la communauté.

Au Québec, un patient sur trois qui se présente aux urgences est aux prises avec un problème de santé mentale en raison du manque de services et de soutien dans la communauté.

Crédit : Getty

En 5 secondes

Alors que les problèmes de santé mentale explosent, comment préparer la relève à prendre soin de nous? Pour le savoir, nous avons sondé nos experts et sommes allés sur le terrain.

En 2019, une personne sur huit dans le monde présentait un trouble mental. Un an plus tard, la COVID-19 faisait exploser les chiffres: plus d’une personne sur 4 souffrait d’un trouble anxieux ou de dépression majeure ─ les deux troubles mentaux les plus courants, suivis des troubles bipolaires, post-traumatiques, du comportement, de l’alimentation, neurodéveloppementaux, et de la schizophrénie.

Au Québec, un patient sur trois qui se présente aux urgences est aux prises avec un problème de santé mentale en raison du manque de services et de soutien dans la communauté. Or, le rétablissement, le vrai, passe par un projet de vie, rappelle l’ergothérapeute Catherine Dugas, chargée d’enseignement clinique à l’École de réadaptation.

Pour naviguer dans cette nouvelle réalité, les futurs soignantes et soignants devront faire preuve d’engagement, d’adaptation et de créativité. En phase avec les enjeux de société, la Faculté de médecine s’est donné son propre défi, celui d’outiller la relève pour qu’elle puisse répondre aux vrais besoins tout en prévenant l’épuisement.

Trouver un sens dans son travail

La nouvelle génération de psychiatres, médecins et autres professionnelles et professionnels de la santé aura comme défis de ne pas baisser les bras devant ce système au pied d’argile et de veiller à garder sa motivation, sa passion et sa mobilisation bien intactes.

Avec le renouveau du programme de médecine actuellement en cours, la Faculté de médecine réfléchit à la signification du mot «soigner», au-delà des compétences techniques et théoriques. Quel est le rôle fondamental du médecin? Comment enseigner la communication et la relation de soin? «La communication, c’est une boîte à outils dans laquelle se trouvent plusieurs instruments qui permettent au soignant de pouvoir bâtir une relation de confiance avec le patient en fonction de sa trajectoire de vie, de son environnement et de ses ressources, en vue de lui offrir les meilleurs soins possibles compte tenu de sa réalité», explique Clara Dallaire, patiente partenaire et membre du sous-comité de communication, arts et humanités du nouveau programme MD.

Prendre soin de soi

Marie-Ève Goyer

Marie-Ève Goyer

Crédit : Faculté de médecine, Université de Montréal

Les nouvelles recrues devront veiller à ne pas «se prendre la main dans le tordeur» pour satisfaire aux indicateurs de performance, car ça peut devenir épuisant, prévient la Dre Marie-Ève Goyer, professeure agrégée de clinique au Département de médecine de famille et de médecine d’urgence. «Ce qu’on veut, c’est donner des soins de qualité, sentir qu’on fait bien notre travail, prendre le temps de parler avec nos patients. Dans un système aux besoins exponentiels où le travail peut être stressant, c’est à nous, soignants, de nous arrêter, parce que personne ne va le faire à notre place. On doit apprendre à mettre nos limites, à nous donner les ressources et les conditions optimales à notre épanouissement et à notre créativité.»

Autrement dit, veiller à prendre soin de sa propre santé mentale, rester à l’affût des signes précurseurs d’un épuisement professionnel et s’assurer de se sentir bien dans sa vie professionnelle et personnelle.

Établir des priorités

Claire Gamache

Claire Gamache

Crédit : Faculté de médecine

Le système de santé qui nous sert est inversé: ce sont les gens les plus organisés et les moins malades qui ont accès aux soins en premier, parce qu’ils disposent d’une assurance maladie, d’un téléphone, de l’Internet, remarque Marie-Ève Goyer. «Imaginez si vous êtes dehors à -40 °C et que vous êtes en sevrage. Vos chances d’obtenir des soins seront limitées, alors que vous devriez recevoir des soins en priorité. Est-ce qu’on est prêt, comme société, à s’occuper d’abord de nos plus démunis?», s’interroge celle qui chapeaute les services en itinérance, dépendance et santé mentale au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal (CCSMTL).

L’Association des médecins psychiatres du Québec s’active à préciser la responsabilité populationnelle des psychiatres et à l’intégrer dans la pratique. «Nos futurs soignants doivent adopter un paradigme de besoin et non de demande. Parce que les gens qui consultent le plus en psychiatrie ne sont pas nécessairement ceux qui en ont le plus besoin», soutient la présidente Claire Gamache.

Développer son leadership et travailler en interdisciplinarité

Lison Gagné

Lison Gagné

Crédit : Faculté de médecine, Université de Montréal

Le système de santé comporte ses limites. Pour changer la trajectoire de ce gros paquebot et donner de meilleurs soins à la population, les nouvelles recrues ont tout intérêt à cultiver une attitude de leader inspirant pour mener des projets et les réaliser, fait valoir la Dre Lison Gagné, professeure adjointe de clinique au Département de psychiatrie et d’addictologie de la Faculté de médecine et coordonnatrice locale à l’enseignement pour la psychiatrie au CCSMTL. «Ça demande de l’énergie, de l’organisation, de l’expérience, des connaissances et des aptitudes que les apprenants vont acquérir dans le cadre de leur formation», dit-elle.

«En santé mentale, le travail est tellement exigeant qu’on ne peut plus fonctionner en silo. Les psychiatres doivent travailler en interdisciplinarité avec les médecins de famille, les ergothérapeutes, les travailleuses sociales, les psychoéducateurs, les psychologues et les thérapeutes. Ils doivent agir comme des leaders soutenants pour la première ligne et l’équipe scolaire. Plus ils seront à l’aise dans ce rôle et prendront soin d’eux, moins il y aura d’épuisement professionnel et d’exode vers le privé», estime la Dre Gamache.

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