Les 100 ans du pavillon Roger-Gaudry: un patrimoine bâti à protéger
- UdeMNouvelles
Le 7 mars 2025
- Natacha Monnier
Pour Claudine Déom, professeure d’architecture à l’UdeM, le patrimoine bâti fait partie intégrante de la culture et doit être valorisé, enseigné et conservé.
Avez-vous déjà vécu un moment d'émotion, au retour d’un long voyage, en apercevant au loin le Stade olympique, l’oratoire Saint-Joseph ou encore la tour du pavillon Roger-Gaudry? Ces bâtiments singuliers, avec leurs fonctions propres, sont ancrés en nous et agissent comme des lieux chers qu’on retrouve avec joie. Comme un signal de l’arrivée prochaine à la maison, ils dessinent un paysage familier qui fabrique l’identité de Montréal.
Il faut tenter d’imaginer le paysage du campus de la montagne de l’Université de Montréal sans sa grande tour et ses pavillons. Avant 1920, le flanc nord du mont Royal n’est alors qu’une carrière désaffectée dont les terrains appartiennent à la Ville de Montréal. C’est précisément à cet endroit qu’Ernest Cormier envisage, dès 1925, le plan d’ensemble du campus de l’UdeM, organisé autour d’un pavillon principal dont la tour iconique de plus de 80 m de hauteur reste à ce jour l’un des plus importants repères visuels de Montréal.
La préservation de ce patrimoine bâti, visuel et identitaire est le cheval de bataille de Claudine Déom, professeure à l’École d’architecture de l’Université de Montréal depuis 2006 et responsable de l’option Conservation du patrimoine bâti de la maîtrise en sciences appliquées. Nous nous sommes entretenus avec elle à l’occasion d’une visite de l’emblématique pavillon Roger-Gaudry, présentement en rénovation.
Il faut connaître le patrimoine pour le reconnaître

Lorsque la construction du pavillon débute en 1928, le projet représente le plus gros chantier de la région métropolitaine. La taille gigantesque du complexe est le reflet de la croissance de la métropole moderne qu’est Montréal à cette époque.
Crédit : Extrait de Firme S. J. Hayward & Ernest Cormier, Vue du chantier de construction, Pavillon principal et campus, Université de Montréal, 12 avril 1930. Épreuve photographique en noir et blanc, 19 x 24,4 cm. ARCH264442, Fonds Ernest Cormier, Centre Canadien d’ArchitectureParmi les messages que souhaite transmettre Claudine Déom, il y a celui que veulent faire entendre tous les spécialistes du patrimoine: il faut connaître pour reconnaître.
Selon la professeure, la mise en place de la Politique nationale de l'architecture et de l'aménagement du territoire par le gouvernement du Québec en juin 2023 était plus qu’attendue. Cette politique se traduit par la capacité à reconnaître la contribution des environnements bâtis d’hier et d’aujourd’hui à l’épanouissement collectif et permet de sensibiliser la population à l’importance de la préservation des bâtiments anciens ou patrimoniaux.
«Quand on ne connaît pas son histoire, on se trouve incapable de décoder les réalisations du passé, indique la professeure. C’est difficile de construire un pavillon à flanc de montagne, il fallait le faire! Pourquoi l’a-t-on fait? Pour des raisons d’identité: quitter le Quartier latin pour venir s’installer sur la montagne où étaient déjà établies des communautés religieuses ainsi qu’une autre université, c’était un geste audacieux à l’époque. Ce geste aussi fait partie de l’identité! Est-ce une histoire connue? Je ne sais pas, mais il faut toujours la raconter.»
Depuis les dernières années, Claudine Déom plaide pour l’enseignement et la diffusion de l’histoire du patrimoine bâti existant et la préservation de ce dernier. Face aux risques de la perte des connaissances ou de l’appauvrissement de ce patrimoine, la professeure poursuit une approche interdisciplinaire, qu’elle souhaite transmettre à ses classes.
«C’est ma contribution à la Faculté de l’aménagement: le patrimoine touche les étudiants et les étudiantes en design d’intérieur, les urbanistes, les architectes et, transversalement, il y a un programme en patrimoine dont les objectifs sont justement de former des professionnels avec différents profils, qui vont parler au nom du patrimoine bâti et être capables de reconnaître ce qui a de la valeur pour toutes sortes de raisons», dit Claudine Déom.
La valorisation du patrimoine bâti doit ainsi partir d’une réflexion faisant valoir à la fois la singularité du bâtiment et son potentiel identitaire, les raisons historiques de son implantation, les matériaux utilisés ou encore les techniques de construction d’époque. Ainsi, c’est par sa monumentalité, son emplacement unique sur la montagne que le pavillon Roger-Gaudry est un bâtiment d’exception, de même que par le choix des matériaux qui le constitue et jusqu’au génie même de son architecte.
«Il y a des lieux qui sont magiques: le pavillon Roger-Gaudry en est un, mentionne Claudine Déom. Pourquoi? Parce que c’est un lieu qui a été bien construit et qui a traversé l’épreuve du temps. Parce qu’il y a une qualité reconnue dans la réalisation du bâtiment, dans le travail d’Ernest Cormier, qu’on retrouve dans ses différentes constructions.»
Adapter le patrimoine, c’est le conserver

Une photographie du chantier de construction du pavillon principal et campus de l'Université de Montréal
Crédit : Extrait de Ernest Cormier, Photographie du chantier de construction, Pavillon principal et campus, Université de Montréal, 26 décembre 1930. Épreuve à la gélatine argentique, 19,1 x 24,3 cm. ARCH264437, Fonds Ernest Cormier, Centre Canadien d’ArchitectureTout indique d’ailleurs que le nombre de bâtiments existants ira en augmentant dans les prochaines années par rapport aux constructions neuves: on estime en effet que la majorité des bâtiments qui seront présents en 2050 existent déjà.
«Cela signifie que nos futurs professionnels et professionnelles de la Faculté de l’aménagement vont travailler avec des bâtiments, des lieux existants, observe Claudine Déom. Le design neuf n’arrêtera jamais, mais il constituera seulement une mince partie des projets.»
Réalisé entre 1928 et 1941 au gré des contraintes liées à la crise économique, le pavillon Roger-Gaudry aura bientôt 100 ans. Plusieurs de ses éléments – fenêtres, façades, systèmes mécaniques ou structurels – étaient dans un état de détérioration avancée, notamment en raison d’une surexposition aux intempéries étant donné son emplacement sur le flanc nord de la montagne. Pour la professeure, l’entretien et l’adaptation sont les moyens à privilégier pour assurer leur conservation, comme le sont les travaux de réhabilitation en cours au pavillon Roger-Gaudry.
«Oui, il y a des défis dans la rénovation de bâtiments anciens. Mais quand on a un joyau entre les mains, dont la simple composition esthétique nous aide à saisir l’histoire et l’évolution de l’architecture au Québec, il me semble que ça invite à la précaution, à une attention particulière», affirme Claudine Déom.
Des idées à déconstruire

Photographie des travaux de construction du pavillon principal et campus de l'Université de Montréal
Crédit : Extrait de Ernest Cormier, Photographie des travaux de construction, Pavillon principal et campus, Université de Montréal, 25 juillet 1931. Épreuve à la gélatine argentique, 19 x 24,6 cm. ARCH264431, Fonds Ernest Cormier, Centre Canadien d’ArchitecturePour la professeure, de nombreuses idées reçues sont encore à déconstruire en ce qui concerne la conservation des bâtiments patrimoniaux.
L’une d’entre elles, c’est d’imaginer qu’on peut faire du neuf avec du vieux ou encore qu’on peut estimer les coûts d’une réhabilitation ou d’une mise à niveau d’un bâtiment patrimonial à l’aune de techniques automatisées, de matériaux neufs et manufacturés et à moindre coût.
L’autre idée dont il faut s’affranchir, selon Claudine Déom, c’est de penser que le patrimoine bâti est figé: il faut adapter les bâtiments anciens aux besoins d’aujourd’hui si l’on veut qu’ils survivent. Par ailleurs, entretenir un bâtiment est aussi une forme de transformation, opérée par une intention de conserver le lieu. C’est donc la difficile question de l’équilibre entre le statu quo et le changement qui, pour la professeure, présente le plus de défis.
«Quand on travaille en conservation du patrimoine, il s’agit de trouver l’équilibre entre le statu quo et la transformation. Ce qu’on cherche à éviter, ce sont des modifications qui sont sans lendemain, au goût du jour, frivoles, qui ne répondent qu’à un coup de tête ou à un égo. La couleur des fenêtres du pavillon Roger-Gaudry, par exemple, c’est important, souligne-t-elle. Pourquoi? Parce qu’il y en a beaucoup. Et parce que ça fait partie intégrante de l’esthétique du bâtiment. Ce sont des décisions qui ne peuvent pas se prendre à la légère. C’est également une forme de créativité, car il s’agit d’un problème à régler par des solutions de design.»
Enfin, le soutien financier nécessaire à l’entretien et à la protection du patrimoine bâti est une question majeure pour les gouvernements, les instances municipales et les organisations responsables de veiller sur ce patrimoine: avec des milliers de bâtiments patrimoniaux dans la province dont l’état se détériore, certains se demandent s’il ne s’agit pas là d’une dépense publique accessoire, d’un geste futile, alors qu’il y a tant de besoins à combler, notamment en éducation et en santé.
«Depuis que j’étudie et travaille dans le milieu du patrimoine qu’on me demande à quoi ça sert de conserver de tels bâtiments. Est-ce qu’on maintient en état un hôpital où l’on soigne des enfants ou l’on met des fonds dans le patrimoine? Lorsqu’on pose la question comme ça, on ne s’en sort pas, c’est démagogique et injuste. Le patrimoine, c’est aussi de la culture», conclut Claudine Déom.
À propos de Claudine Déom
Claudine Déom est professeure d’architecture de la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal. Ses recherches portent sur les liens qui unissent la conservation du patrimoine culturel aux objectifs du développement durable. Elle s'intéresse également à l'histoire de l'architecture au Québec dans le but de favoriser la réutilisation des bâtiments existants, notamment ceux qui possèdent un intérêt patrimonial.