L’histoire imprégnée dans le sol
- UdeMNouvelles
Le 9 juillet 2025
- Catherine Couturier

En haut à gauche, Julie Talbot et Élodie Roussel prélevant un échantillon de tourbe (en surface) à la Grande plée Bleue en juin 2024; en bas à gauche, échantillon de tourbe (surface) et, à droite, échantillon de surface de la tourbière de l'île du Havre en juin 2024.
Crédit : Olivier Faustin et Élodie RousselÉlodie Roussel consacre ses travaux de maîtrise à la recherche de traces des éruptions volcaniques du passé dans les tourbières.
Les tourbières sont de véritables archives de la nature. «À la suite du retrait des eaux qui a suivi la déglaciation, des tourbières se sont rapidement formées», explique Julie Talbot, professeure au Département de géographie de l’Université de Montréal. En s’accumulant à l’abri de la décomposition, la matière a emprisonné une foule d’indices sur l’environnement et le climat: pollens, polluants… et cendres volcaniques. La professeure cherche à comprendre comment ces dépôts atmosphériques changent les écosystèmes dans lesquels ils se retrouvent.
Élodie Roussel, étudiante à la maîtrise en géographie, s’intéresse aux dépôts laissés par les volcans dans les tourbières. «Même s’il n’y a pas de volcans à proximité, des éruptions qui sont survenues loin du Québec ont produit des cendres microscopiques [leur nom savant est cryptotéphras] qui peuvent être transportées sur de très longues distances, jusqu’à des milliers de kilomètres», dit-elle.
Après avoir récolté des échantillons à l’île du Havre sur la Côte-Nord et dans la tourbière de la Grande plée Bleue à Lévis l’été dernier, Élodie Roussel se rendra une dernière fois sur le terrain cet été pour prélever des échantillons dans la tourbière Mer Bleue, à Ottawa.
À la recherche des cryptotéphras
Les travaux de maîtrise d’Élodie Roussel s’inscrivent dans un projet financé par le Fonds de recherche du Québec, auquel participent l’Université de l’Alberta, l’Université McGill et l’Institut national de la recherche scientifique. Le projet étudie les mécanismes de dispersion des cendres de l’éruption du mont Saint Helens en 1980. Des dépôts de cette violente éruption ont été trouvés sur la côte Est américaine, mais jamais au Québec. Élodie Roussel espère retrouver des traces de cette éruption, mais recueillera également toute autre trace volcanique dans les trois tourbières sélectionnées.
Grâce à leur morphologie et leur géochimie uniques, les cryptotéphras peuvent être associés à un évènement précis. «C’est ce qui permet de les utiliser comme marqueur temporel dans les tourbières, palliant les incertitudes de certaines méthodes de datation comme le plomb 210 ou le carbone 14», résume Élodie Roussel.
Quelques jours de terrain, des centaines d’heures au laboratoire
Élodie Roussel se déplacera donc en juillet à Mer Bleue pour extraire une séquence complète de tourbe et prélever plusieurs échantillons en surface. «On doit faire la préparation en amont – notamment pour obtenir les permis, car c’est un site protégé – et sélectionner la zone d’échantillonnage sans y être même allées. Évidemment, quand on arrive sur place, il y a toujours plein d’imprévus», mentionne Élodie Roussel. Le sol échantillonné doit contenir peu de racines ou autres éléments qui auraient pu le perturber. «Ensuite, il faut à peu près un après-midi pour extraire la carotte», ajoute-t-elle. Une carotte peut faire jusqu’à six mètres de longueur, qu’on extrait à coups de 50 centimètres. «Il y a près de 8000 ans d’accumulation de matière dans la tourbière», rappelle Julie Talbot.
De retour de ce terrain, ce sont des heures de laboratoire qui l’attendent. En effet, les mois suivants seront passés à analyser la morphologie et la géochimie des cendres qu’elle aura pu extraire de ces carottes. L’étudiante a d’ailleurs séjourné à l’Université de l’Alberta pour apprendre une nouvelle méthode d’analyse avec sa codirectrice Britta Jensen, qui y enseigne la géologie. «C’est beaucoup de temps passé au microscope», souligne Julie Talbot. Avant toute chose, Élodie Roussel a dû apprendre à reconnaître les téphras – des matériaux volcaniques – («C’est difficile, ça ne ressemble à rien», commente sa directrice), pour les compter un à un sur les lames de microscope. «J’ai compté jusqu’à 6000 téphras sur une seule lame! À partir du moment où l’on en a un nombre assez grand, on sait qu’il y a probablement eu une éruption volcanique», indique Élodie Roussel.
En se déposant au gré des vents, les téphras permettent des années plus tard aux équipes de recherche qui les retrouvent de mieux comprendre l’évolution de la circulation atmosphérique. Et en datant ces couches de tourbe, les géographes donnent aussi un coup de pouce à d’autres scientifiques, comme les archéologues. «Ça nous permet de répondre à une foule de questions sur le passé», conclut Julie Talbot.