Une mission en Suède pour tester l’effet du cuivre sur le système immunitaire des poissons
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Pas de vacances pour la science! Article 37 / 40
Dans la station de recherche marine de Kristineberg, située sur la côte ouest suédoise, 32 scientifiques internationaux se sont réunis cet été pour comprendre de quelle façon la pollution métallique affecte la santé des poissons. Cette collaboration unique regroupe des scientifiques du Canada, de Suède, de Norvège, du Danemark et de l’Australie autour d’expertises complémentaires en écotoxicologie, physiologie, immunologie et comportement animal.
«C’est notre troisième mission en Suède dans cette station où se déroulent plusieurs gros projets de collaboration», explique Sandra Ann Binning, professeure au Département de sciences biologiques de l’Université de Montréal, qui coordonne différents travaux avec le doctorant Vincent Mélançon.
Parmi les personnes participantes, on compte des chercheurs et chercheuses de l’Université de l’Alberta, de l’Université de Gothenburg, de l’Université suédoise des sciences agricoles et même de l’Australie (Université Deakin), créant un véritable réseau scientifique international. Cette diversité géographique permet d’enrichir les perspectives et d’adapter les méthodologies aux différents contextes environnementaux.
Une planification de longue haleine
Cette année, sept à huit projets de recherche s’y déroulent simultanément, tous liés à la santé des poissons face aux défis environnementaux contemporains. L’ampleur logistique de cette entreprise est considérable.
«La planification du projet a commencé il y a deux ans, souligne Binning. Entre les demandes d’éthique animale à rédiger en suédois, la coordination des dates avec la station de recherche et la quête de financement, l’organisation relève du défi.»
Les chercheurs et chercheuses doivent aussi planifier l’utilisation d’outils technologiques collaboratifs, que tous les laboratoires se partagent afin d’élargir leur coopération et de déterminer les synergies possibles.
L’énigme des métaux lourds et de l’immunité
Le projet principal sur lequel travaille l’équipe de recherche de l’UdeM évalue une relation bidirectionnelle.
«Nous voulons voir si le système immunitaire cause une augmentation de l’accumulation de métaux ou si c’est plutôt l’accumulation de métaux qui affecte le système immunitaire, résume Vincent Mélançon. Cette question fondamentale pourrait transformer notre compréhension des mécanismes de défense des organismes aquatiques face à la contamination industrielle.»
Pour ce faire, l’équipe a exposé des cténolabres (Ctenolabrus rupestris) à différentes concentrations de cuivre pour observer les réactions de leur système de défense naturel. Dans une seconde phase expérimentale, on a artificiellement activé le système immunitaire des poissons avant l’exposition métallique pour mesurer si cette stimulation influence l’accumulation des contaminants. Cette approche bidirectionnelle permet de distinguer les relations de cause à effet dans ce système complexe.
L’espèce choisie pour cette étude n’est pas anodine. Les cténolabres sont des petits poissons aux couleurs vives qui jouent un rôle important dans l’aquaculture européenne.
«En Europe, ils sont utilisés dans les fermes de saumons pour contrôler les poux de saumon dont ils se nourrissent, explique le chercheur. Vu la localisation de ces fermes, les cténolabres peuvent être exposés à des concentrations élevées de cuivre, utilisé comme traitement dans les installations aquacoles et rejeté par les activités industrielles telles que celles du secteur minier. De plus, les saumons et, du même coup, les cténolabres sont traités à l’aide d’antibiotiques et de vaccins, ce qui crée, en combinaison avec les expositions de cuivre, un défi immunitaire particulier.»
Une méthode contrôlée pour observer les effets du cuivre
Pour la cueillette de données, Vincent Mélançon a eu recours à trois traitements: le premier sans cuivre (contrôle), le deuxième avec une concentration similaire au milieu naturel, et un troisième à concentration élevée.
Cent-cinquante cténolabres de moins de dix centimètres ont été utilisés au cours de cette expérience; ils ont été exposés pendant 96 heures selon les standards toxicologiques internationaux. Cette durée permet non seulement d’observer les effets comportementaux, mais aussi de mesurer l’accumulation du cuivre dans les tissus des poissons.
«Chaque poisson a été filmé avant et après l’exposition dans les bassins afin de voir les différences de comportements, souligne le doctorant. Ainsi, l’originalité de notre approche est que chaque poisson soit son propre groupe contrôle, car la comparaison individuelle permet d’éliminer les biais liés aux variations interindividuelles!»
Parallèlement, des prises de sang et des frottis sanguins visaient à révéler les modifications de la composition des globules rouges et blancs. Pour stimuler le système immunitaire, des injections de fragments de lipopolysaccharides – des fragments bactériens immunostimulants – devaient permettre l’observation du système de défense dans des conditions contrôlées.
«Les premières observations vidéos montrent que les poissons deviennent plus amorphes après injection du stimulant immunitaire par rapport au placebo salin, et que l’exposition au cuivre génère également des modifications visibles, dont des rougeurs aux yeux et aux nageoires qui témoignent de l’action du contaminant sur leur morphologie», concluent Sandra Ann Binning et Vincent Mélançon.
Ces données comportementales et physiologiques alimenteront les analyses approfondies qui suivront cette mission de terrain, s’inscrivant dans une démarche scientifique à long terme visant à mieux comprendre les interactions complexes entre contaminants et organismes aquatiques dans nos écosystèmes marins en mutation en raison des activités humaines.