Communication d’urgence
11 h 36 | 31 août

Une nouvelle méthode lumineuse pour identifier les aubépines

En 5 secondes Des chercheurs en biologie exploitent la spectrométrie pour distinguer des espèces d’aubépines.
De gauche à droite: habitat des aubépines, chrysocarpa, canadensis et Marc-Aurèle Vallée

Dans la série

Pas de vacances pour la science! Article 38 / 40

Derrière leurs épines et petites fleurs blanches ou roses, les aubépines cachent un véritable casse-tête scientifique. Comportant près de 300 espèces en Amérique du Nord, ces arbustes pourtant communs restent très difficiles à identifier, même pour les spécialistes. 

Étienne Léveillé-Bourret, professeur de biologie et conservateur de l’Herbier Marie-Victorin, et son doctorant Marc-Aurèle Vallée ont mis au point une méthode novatrice qui pourrait bien changer la donne et contribuer à une meilleure identification de ces espèces méconnues.  

Une floraison trop brève et des espèces insaisissables

«Les aubépines fleurissent très tôt au printemps. La difficulté, c’est que c’est très fugace comme floraison. On a une courte période d’une à deux semaines pour les identifier», remarque Marc-Aurèle Vallée. Passée cette brève fenêtre, l’identification devient presque impossible, faute de fleurs ou de fruits, essentiels pour distinguer les espèces. 

Cette contrainte rend les inventaires de biodiversité incomplets: «Contrairement à la plupart des autres espèces de plantes à fleurs, ce sont des espèces très peu étudiées, souvent négligées», souligne-t-il. Or, plusieurs formes locales semblent aujourd’hui en déclin, notamment en raison de la concurrence d’espèces exotiques envahissantes comme le nerprun cathartique. Les aubépines sont aussi mal vues des agriculteurs: leurs épines sont basses et peuvent percer les pneus de tracteurs et abîmer la peinture des machines. En plus, le nerprun est avantagé: «Il continue sa photosynthèse tard dans la saison et accumule des réserves alors que les aubépines ont souvent déjà perdu leurs feuilles à la mi-septembre», précise Marc-Aurèle Vallée. 

Dans le parc Michel-Chartrand, à Longueuil où se trouvent de nombreuses espèces d’aubépines, l’équipe d’Étienne Léveillé-Bourret a fixé des étiquettes métalliques sur les arbustes pour faciliter l’étude et le suivi d’une saison à l’autre des mêmes individus. 

Un trésor botanique dans les herbiers

Pour contourner ces difficultés d’identification, les scientifiques s’appuient depuis longtemps sur les herbiers qu’ils constituent. « On va récolter des branches, des fleurs, des feuilles. On note aussi la présence d’épines, l’architecture de l’arbuste, qu’on consigne sur l’étiquette d’herbier », décrit Marc-Aurèle Vallée. 

Ces spécimens sont ensuite séchés et déposés à l’Herbier Marie-Victorin de l’Université de Montréal, enrichissant une collection commencée dès les années 1900 par le Frère Marie-Victorin. 

« À l’époque, Montréal était un des centres mondiaux des aubépines. Des botanistes venaient même des États-Unis pour les étudier, » raconte Étienne Léveillé-Bourret. « Ces botanistes ont découvert et décrit des espèces, comme l’aubépine du Canada, qui étaient alors apparemment très abondantes dans la région de Montréal. De nos jours, plusieurs de ces espèces ont décliné suffisamment pour qu’on s’inquiète de leur survie. Avoir accès aux collections historiques nous aide énormément pour savoir où et quoi chercher, » précise-t-il.  

Mais, qu’est-ce qu’une espèce?

Identifier une aubépine ne se résume pas à observer ses feuilles ou ses épines. Leur biologie complique la tâche: «Certaines aubépines ont trois ou quatre copies de chaque chromosome et peuvent aussi se reproduire sans sexualité, produisant des graines qui sont des clones de la plante mère», explique le professeur. Cette particularité facilite la production de centaines ou de milliers d’individus possédant les mêmes différences génétiques… sans forcément former de vraies espèces distinctes. 

«Les botanistes de l’époque de Marie-Victorin avaient tendance à nommer chaque petite variation comme une espèce différente. Aujourd’hui, on doit démêler tout ça», indique Marc-Aurèle Vallée. Lui-même définit une espèce d’aubépine comme «une lignée évolutive distincte qu’on peut différencier morphologiquement et génétiquement». Il reconnaît tout de même que la frontière reste floue: «Il y a encore débat sur ce qu’est réellement une espèce.» 

Un «code-barres lumineux» pour les différencier

Face à ces difficultés, Étienne Léveillé-Bourret et son étudiant ont eu une idée originale: utiliser la lumière pour identifier les aubépines. «On analyse comment les feuilles réfléchissent la lumière dans le spectre visible et infrarouge. Ça donne un genre de code-barres lumineux, différent d’une espèce à l’autre», illustre Marc-Aurèle Vallée. 

Cette technique, la spectrométrie, peut même s’appliquer aux spécimens anciens. «Avec le temps, la couleur et d’autres caractéristiques visibles disparaissent dans les herbiers. Mais la spectrométrie révèle encore des informations chimiques et structurelles dans les feuilles séchées», ajoute-t-il.  

Initialement, cette technologie servait à cartographier la végétation de forêts tropicales depuis des drones. Mais ses performances ont convaincu l’équipe de l’adapter aux aubépines. «Ça a tellement bien marché que j’utilise cette approche presque plus souvent que le laboratoire d’Étienne Laliberté, qui avait pourtant acheté l’appareil à l’origine», plaisante Étienne Léveillé-Bourret. 

Plus rapide et moins cher que la génétique

Cette approche présente aussi un atout majeur: le coût. «Un appareil de spectrométrie coûte des dizaines de milliers de dollars, mais une fois acquis, la seule dépense est le temps de l’analyse. On peut traiter plus d’une trentaine de spécimens par jour», mentionne Marc-Aurèle Vallée. À l’inverse, une analyse génétique peut coûter 30 $ ou plus par échantillon et exiger plusieurs semaines de délai avant la réception des résultats. 

Surtout, le «code-barres spectral» semble parfois plus performant que le «code-barres génétique», qui fonctionne mieux chez les animaux. «Avec le code-barres génétique, on sait que c’est une aubépine, mais pas toujours laquelle. Les code-barres spectraux semblent mieux permettre de les distinguer», observe Étienne Léveillé-Bourret. 

Une méthode prometteuse pour d’autres espèces

Cette méthode pourrait aider à résoudre d’autres énigmes taxonomiques. «Les aubépines étaient un groupe idéal pour tester cette technique, parce qu’elles ont des feuilles assez larges pour la prise de mesures. Mais cela pourrait s’appliquer à bien d’autres plantes difficiles à distinguer», estime Marc-Aurèle Vallée. 

Pour le chercheur, au-delà de la classification, un des enjeux est la conservation. «Peu importe qu’on appelle ces entités des espèces ou des génotypes, elles font partie de la diversité qu’on veut protéger. Et cela peut ensuite avoir un impact sur les écosystèmes, en hébergeant des insectes ou des [agents] pathogènes différents. Et même directement sur notre santé, étant donné que les aubépines sont très étudiées pour leur potentiel médical.» 

Partager