Le merveilleux monde des mymarides

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Pas de vacances pour la science! Article 36 / 40

«Le Canada, comme les pays du Nord, n’est pas connu pour sa diversité biologique. Pourtant, on a plein de choses intéressantes à découvrir encore», relate Colin Favret, professeur au Département de sciences biologiques et directeur de la Station de biologie des Laurentides (SBL).
Catherine Hébert, qui entame un doctorat sous sa direction, l’a bien constaté. Durant sa maîtrise, elle a échantillonné plusieurs forêts à travers le Québec, dont celle de la SBL, pour étudier la diversité de la famille des mymarides, de minuscules guêpes parasites. Ces «mouches fées» (on les appelle fairyflies en anglais), parmi les plus petits insectes au monde, fascinent l’étudiante et son directeur. «Les gros insectes, on les connaît, parce qu’ils sont faciles à capturer. Mais ça représente environ 1 % de la diversité. Les petits insectes, eux, sont complètement inconnus», dit-il.
«Les mymarides sont vraiment mignonnes. En plus d’avoir des ailes membraneuses, elles ont de longs poils sur les ailes, ce qui fait qu’elles sont très légères», poursuit-il. Elles sont aussi à mi-chemin entre des parasites et des prédateurs: les femelles pondent en effet leurs œufs dans les œufs d’autres insectes, ce qui mène nécessairement à la mort de leur hôte (ce qui n’est pas le but d’un parasite normalement).
Aspirateurs à insectes

Le duo récoltera des échantillons tout l’été à l’aide de pièges aspirateurs conçus par le professeur. Durant sa maîtrise qui portait sur les pucerons, le taxonomiste avait constaté que ces pièges étaient très efficaces, récoltant en plus une grande diversité de petits insectes. «Je m’étais dit qu’un jour, j’utiliserais ce piège aspirateur pour étudier ces guêpes parasites», raconte-t-il. Ces pièges, munis d’un ventilateur d’ordinateur, aspirent les petits insectes qui s’y aventurent; les plus gros s’en éloignent naturellement lorsqu’ils sentent la succion.
À son arrivée en poste en 2012, Colin Favret a planché sur leur conception, pour les déployer en 2015 et confirmer leur efficacité. «Comparé aux pièges traditionnellement utilisés, j’ai remarqué que les pièges aspirateurs attrapaient une plus grande abondance d’hyménoptères [un ordre d’insectes comprenant les abeilles, les guêpes, les fourmis et les frelons] et une meilleure diversité», estime-t-il.
Les pièges ont ensuite été déployés à la SBL durant plusieurs saisons (2021, 2023, 2024), des mois de mai à octobre. Le but? Contribuer à la découverte de la biodiversité et à la description de nouvelles espèces. «Nous souhaitons analyser la diversité à travers le temps, autant au sein d’une année qu’entre les années. Nous pouvons faire des corrélations avec la température, l’humidité et d’autres facteurs environnementaux», remarque-t-il.
Le professeur a cette année installé un piège qui permet de récolter des échantillons à diverses hauteurs, grâce à huit pièges situés de un à quinze mètres du sol. «La canopée est difficilement échantillonnée en général. J’ai toujours eu cet intérêt de voir si la diversité des insectes était distribuée verticalement dans l’air», note-t-il.
Des insectes en abondance

La récolte jusqu’à présent est pour le moins abondante. «Nos échantillons sont énormes; on a trop de spécimens, trop d’espèces, et pas assez d’expertise pour identifier le matériel», constate Colin Favret.
Parmi les insectes les plus abondants, les mymarides constituent 40 % des spécimens d’hyménoptères récoltés. Alors qu’on répertorie au Québec 46 espèces, dans 18 genres, Catherine Hébert a collecté dans le cadre de ses travaux de maîtrise au moins 55 espèces appartenant à 16 genres, dont plusieurs jamais documentés dans la province. «C’est presque le double de la diversité qu’on connaît actuellement», souligne-t-elle.
Pour en venir à cette conclusion, l’étudiante a passé plusieurs heures à traiter les échantillons récoltés, extrayant d’abord l’ADN pour faire des regroupements, qu’elle confirmait par observation au microscope. «C’est énormément d’étapes. Juste pour monter une lame de microscope, c’est presque un mois de travail», indique-t-elle. C’est que les mymarides font à peine 1 ou 2 mm, et que Catherine Hébert devait utiliser des instruments chirurgicaux pour les disséquer et les manipuler.
Son doctorat lui permettra de poursuivre la description des nouvelles espèces, une étape clé dans le processus de taxonomie. «Je veux pousser plus loin, faire une révision taxonomique d’un genre, et essayer de voir la relation entre les espèces», précise-t-elle.
Chose certaine, le travail est loin d’être terminé. «Je compte échantillonner pour le reste de ma carrière, ici à la station, avec ces pièges aspirateurs, pour mesurer les changements de diversité à travers les années», souhaite Colin Favret.