La chimie face à l’histoire
- Forum
Le 17 juin 2020
- Mathieu-Robert Sauvé
Deux chercheurs de la Faculté des arts et des sciences débattent des effets d’un éventuel vaccin anti-COVID-19.
Le 13 mars dernier, le chimiste Jean-François Masson apprend qu’il vient d’obtenir une subvention des Instituts de recherche en santé du Canada pour travailler sur un outil de dépistage de la COVID-19. Le même jour, l’historienne Laurence Monnais reçoit la commande d’écrire un article sur la santé publique et le port du masque dans le contexte de la pandémie.
Les deux experts étaient en ligne, le 11 juin, pour témoigner de leur expérience à un «FAS à FAS» animé par le doyen de la Faculté des arts et des sciences (FAS) de l'Université de Montréal, Frédéric Bouchard, lui-même spécialiste de la philosophie des sciences. «Nous voulons, par ces rencontres, favoriser les échanges entre disciplines», a dit M. Bouchard en introduction. C’était le deuxième de cette série, le premier à se dérouler à distance. Jusqu’à 75 personnes étaient présentes au plus fort du débat ayant pour thème «Au-delà du vaccin, que faire?»
Mme Monnais et M. Masson, professeurs à l’UdeM, ont modifié leurs agendas en fonction de l’attention mondiale tournée vers le virus. «Ce qui était particulier, concède le chimiste, c’est que nous devions nous attaquer à un virus dont nous ne connaissions pas précisément le mode de transmission et encore moins la composition moléculaire. Ce sont des données qui ont été précisées en cours de route…»
Pas d’épiphanie
Tant pour l’historienne que pour le chimiste, la COVID-19 n’a pas été une soudaine révélation dans leur parcours scientifique. La première travaille depuis plus de 30 ans sur les maladies infectieuses et les campagnes de refus de vaccination, le second sur les technologies de dépistage de différentes affections.
Même s’il est inexistant pour la COVID-19 en raison de l'absence d'un vaccin pour l'instant, le mouvement antivaccination s’organise. Celui-ci fait «dresser les cheveux sur la tête» de Jean-François Masson. Il ne comprend pas qu’on puisse rejeter par principe une solution scientifique à un problème de santé publique. «Les opposants aux vaccins se fient sur une infinité d’études qui démontrent les effets indésirables d’une solution pharmaceutique alors qu’une pléthore d’autres études en montrent les bienfaits.»
«Il ne faut pas exagérer l’importance des mouvements contre la vaccination comme le font les réseaux sociaux, a souligné Mme Monnais. Ils ne concernent en Occident que deux pour cent de la population.»
À son avis, il faut voir dans cette contestation l’expression d’un rejet des valeurs dominantes. «C’est éminemment un geste politique, croit la directrice du Centre d’études asiatiques de l'UdeM. Dans ma thèse, j’ai étudié l’histoire de la santé au Vietnam et constaté que le rejet de la vaccination contre la variole était en bonne partie un rejet de la politique coloniale de la France. C’est le même type de réaction qui caractérise le mouvement actuel.»
Autre changement notable: le processus scientifique a été accéléré en fonction des besoins urgents. «Des études qui auraient pu être menées sur plusieurs années se déroulent sur trois mois. C’est du jamais-vu», mentionne le professeur Masson.
L’avantage, c’est de pouvoir procéder plus rapidement et de prendre connaissance des études en cours sans que la révision par les pairs ait été achevée. Mais l’inconvénient, c’est de voir des recherches aux méthodologies douteuses être transmises à la communauté. Les bienfaits compensent les incertitudes, estime le chercheur. Et cela ne devrait pas nuire à la crédibilité de la science…