La conversion et la pureté sexuelle mènent des évangéliques de deuxième génération à se désaffilier
- UdeMNouvelles
Le 14 avril 2023
- Martin LaSalle
Benjamin Gagné a sondé l’âme de jeunes adultes québécois nés de parents convertis à l’évangélisme pour connaître les raisons qui les poussent à abandonner leur religion.
Une conversion inatteignable et un idéal insoutenable de la pureté sexuelle et du mariage, tels sont deux des principaux motifs qui incitent de jeunes adultes québécois nés de parents convertis à l’évangélisme à abandonner leur religion et à quitter leur communauté.
C’est ce que met en lumière Benjamin Gagné, qui a mené ses travaux de recherche sous la direction de Solange Lefebvre, de l’Institut d’études religieuses de l’Université de Montréal. Les conclusions de son mémoire, pour lequel il a obtenu la mention Exceptionnel, ont fait l’objet d’une publication récente dans la revue Sciences religieuses.
Inspiré par une étude sociologique des processus de désaffiliation religieuse du milieu évangélique suisse, réalisée par Caroline Gachet, Benjamin Gagné a interviewé six femmes et six hommes âgés de 25 à 37 ans nés de parents convertis et ayant été socialisés dans le milieu évangélique.
L’évangélisme québécois: une sous-culture du choix
Dans son article, Benjamin Gagné situe le mouvement évangélique québécois, dont la première génération de convertis est apparue dans les années 1970.
«Au moment où la société se modernise notamment avec la sécularisation qui crée un effritement du pouvoir religieux sur les institutions […], des milliers de jeunes Québécois issus du baby-boom se convertissent à l’Évangélisme au début de la vingtaine, écrit-il. Ce réveil évangélique coïncide avec les années de prospérité économique et la montée du nationalisme et celle des mouvements contre-culturels du Nouvel Âge.»
Mais avec la récession qui survient au cours de la décennie suivante, les idéaux collectifs – tout comme le mouvement évangélique québécois – perdent de la vitesse. De sorte que, selon des statistiques qui datent de 2011, celui-ci serait composé de 150 000 à 200 000 personnes réunies en trois sous-groupes principaux: les baptistes, les pentecôtistes et les évangéliques (non déclarés ailleurs). Plus récemment, des statistiques de 2021 indiquent un déclin dans tous ces groupes.
La conversion: un élément central de l’évangélisme
L’acte de conversion est central chez les évangéliques, car celle-ci naît d’un éveil spirituel qui implique le rejet du catholicisme.
Il s’agit d’un «modèle de “conversion-rupture” [qui] s’opère autour d’une crise et s’appuie sur une “expérience soudaine et radicale, qui change tous les aspects de la vie du nouveau croyant [se manifestant par] un changement d’allégeance et, surtout, une décision consciente et globale d’accepter Jésus comme son Sauveur et Seigneur personnel”», peut-on lire dans l’article de Benjamin Gagné.
Or, pour les enfants des évangéliques de première génération, cette conversion est problématique – voire inatteignable –, car elle ne relève pas d’une rupture avec une religion précédente, mais plutôt d’une continuité.
Qui plus est, contrairement à leurs parents, qui se sont convertis une fois adultes, les enfants situent leur conversion entre 3 et 10 ans. «Puisque la notion de révolution, de révélation ou de changement radical n’est pas présente comme chez leurs parents, les jeunes qualifient leur expérience de “conversion par défaut” et ils sont tourmentés par les doutes perpétuels sur l’authenticité de leur conversion», explique le chercheur.
L’idéal de la pureté sexuelle et du mariage
«Relié à l’influence de la purity culture américaine, l’idéal de la pureté sexuelle agit comme l’un des mécanismes les plus puissants de l’appartenance évangélique et de la préservation de la dynamique du “tout ou rien”, poursuit Benjamin Gagné. Cet idéal repose sur trois éléments, soit la nature pécheresse de l’humanité, une distinction nette entre les rôles et les genres et le contrôle de la sexualité pour préserver la pureté des individus jusqu’au mariage.»
Ce qui signifie que chaque personne doit veiller à ne pas entrer dans une zone de tentation sexuelle, en plus de pratiquer l’autocontrôle sexuel, qui interdit notamment la masturbation. «L’idéal de pureté est encore plus lourd à porter pour les femmes, qui doivent se vêtir de façon à ne pas susciter la tentation chez les hommes: on leur enseigne très tôt qu’elles sont responsables du regard que les hommes portent sur elles, et leur pureté, leur chasteté et leur modestie sont présentées comme un “trésor” qui doit être conservé pour leur futur époux», souligne-t-il.
De sorte que, à la mi-vingtaine, la plupart des jeunes ressentent des frustrations et remettent en question l’orthodoxie de la Bible et la punition éternelle qui les attend s’ils ne respectent pas cet idéal de pureté, ce qui les mène à vouloir abandonner leur religion et quitter leur communauté.
Une décision socialement coûteuse
Cette désaffiliation a un coût social très élevé pour ces jeunes adultes. Ayant grandi dans un milieu relativement fermé au monde extérieur, ils perdent leurs repères en quittant la foi de leurs parents et amis, qui constituait leur lieu d’appartenance.
«Pour certains, la transition a été relativement courte, mais dans la plupart des cas, ces jeunes ont vécu de façon isolée pendant cinq à six ans avant de se reconstruire un réseau social, d’autant plus qu’ils déménagent de deux à trois fois plus que leurs parents au cours de leur vie adulte», mentionne le diplômé.
D’après des études qu’il a consultées, il arrive que celles et ceux qui sont sortis de leur communauté mettent jusqu’à neuf ans avant d’atteindre un nouvel équilibre de vie.
Le phénomène de désaffiliation chez les évangéliques reste à examiner à plus grande échelle et dans un contexte postpandémique, estime Benjamin Gagné.
«Selon différentes données, plusieurs jeunes de 20 à 35 ans ont quitté le milieu évangélique entre 2012 et 2016 et, aujourd’hui, des indices laissent croire qu’une autre vague de désaffiliation pourrait survenir à la suite de la fermeture des lieux de culte due aux restrictions sanitaires des dernières années», conclut celui qui poursuit ses études de doctorat, selon la formule de la cotutelle de thèse, en théologie pratique avec Solange Lefebvre, de l’UdeM, et en sciences religieuses sous la direction de Christophe Monnot, de l’Université de Strasbourg.
Ses recherches portent sur le phénomène des églises urbaines pouvant servir de lieu de transition pour les personnes qui renoncent à leur religion.