(Re)mettre le Saint-Laurent dans notre assiette

Au Québec, 81 % des produits issus du fleuve Saint-Laurent sont exportés et 89 % des ressources maritimes consommées sont… importées.

Au Québec, 81 % des produits issus du fleuve Saint-Laurent sont exportés et 89 % des ressources maritimes consommées sont… importées.

Crédit : JHA Photographie

En 5 secondes

La professeure de nutrition Marie Marquis participe au collectif Manger notre Saint-Laurent et nous explique pourquoi c’est avantageux de valoriser les produits comestibles du fleuve.

Marie Marquis

Crédit : Amélie Philibert

L’achat local est plus que jamais encouragé, particulièrement en alimentation. Il serait ainsi tout naturel de croire que les Québécois se tournent vers l’immense réservoir de produits comestibles que constituent le fleuve Saint-Laurent, son golfe et son estuaire.

Pourtant, là réside un étonnant paradoxe: 81 % des produits issus du fleuve sont exportés et 89 % des ressources maritimes consommées au Québec sont… importées.

Telles sont les conclusions tirées d’un rapport sur l’économie des pêches au Québec rédigé par l’Institut de recherche en économie contemporaine. Ce tableau socioéconomique des pêches au Québec a été commandé par le collectif Manger notre Saint-Laurent, un projet visant à mettre en valeur les produits comestibles issus du fleuve, promouvoir le plaisir de les manger et soutenir l’autonomie alimentaire québécoise.

«On fish and ship, littéralement», illustre de façon imagée Marie Marquis, directrice du Département de nutrition de l’Université de Montréal et chercheuse associée à ce projet interdisciplinaire. «De tous les produits bioalimentaires du Québec, les produits marins sont les plus exportés», poursuit la chercheuse.

Et pourquoi les consommer?

Algues du Saint-Laurent

Crédit : Getty

Quand on demande à Marie Marquis pourquoi on devrait consommer ces produits, elle répond du tac au tac: «Pour de la variété alimentaire, un menu plus équilibré. D’un point de vue nutritionnel, ces ressources sont maigres et faiblement contaminées, en plus de constituer de belles sources de protéines et de gras de qualité.»

La nutritionniste souligne que le fleuve Saint-Laurent héberge une diversité unique d’espèces marines, animales et végétales. «Plusieurs espèces abondantes et de qualité nutritionnelle exceptionnelle gagneraient à revenir occasionnellement dans nos assiettes, comme le sébaste, la mactre de Stimpson, le phoque gris, l’oursin et certaines algues.» Or, de nos jours, elles restent méconnues, oubliées ou mal aimées. Pourtant, elles font partie des espèces à valoriser dans une perspective de développement durable et de protection de la diversité, déplore la chercheuse.

Oursins

Crédit : Getty

«Pensons au phoque, avance Marie Marquis. Une viande maigre bien de chez nous, en abondance, faible en contaminants et riche en fer, mais qui, pour les populations du sud du Saint-Laurent, est encore marquée de forts préjugés associés à sa chasse. Pourtant, la chasse au phoque, parmi les plus règlementées au Québec, peut être faite en respect de l’éthique animale, au même titre que celle à l’orignal. Et rappelons que son abondance contribue à déséquilibrer les populations de morue, déjà affaiblies par la surpêche.»

Sébaste

Crédit : Getty

Un constat semblable s’applique au sébaste, un poisson de fond friand de crevettes dont la prochaine arrivée massive pourrait venir perturber l’écosystème du golfe. «Il faut qu’il arrive dans l’assiette des Québécois, croit la chercheuse. Il devrait percer le marché institutionnel, celui des hôpitaux, des écoles. Sa chair est douce en saveur, on l’appelle parfois “tofu de la mer”, puisqu’il prend la saveur qu’on lui donne.»

Ainsi, en valorisant les denrées du Saint-Laurent, on diversifie son alimentation et l’on consomme des espèces durables.

À la rencontre des populations locales

Les équipes sur le terrain sont allées questionner les pêcheurs gaspésiens.

Crédit : Esteban Figueroa

La réappropriation reste toutefois un défi de taille. D’abord parce que l’État soutient fortement l’exportation et que les pêcheurs sont intégrés, malgré eux, dans ces circuits, mais également parce que les Québécois doivent «retrouver l’intérêt pour les produits d’ici et accroître leurs connaissances quant à leur transformation».

C’est dans cette optique que Marie Marquis et ses collègues ont entrepris une collecte de données sur le terrain à Cap-Chat, Sainte-Thérèse-de-Gaspé et aux Îles-de-la-Madeleine. L’équipe est allée à la rencontre des habitants, des pêcheurs, des aînés et d’acteurs des domaines de la santé et de l’éducation afin d’explorer les attitudes à l’égard des ressources comestibles du Saint-Laurent, de la pêche et des pêcheurs.

«Nous avons été ravis de constater un réel désir de se procurer les ressources du fleuve, de se rapprocher des pêcheurs et de leur métier et d’apprendre à reconnaître les produits, les cuisiner et les conserver», énumère la nutritionniste.

Comme quoi la volonté y est, mais les structures sont encore à bonifier.  

Plus sur Manger notre Saint-Laurent

Cette initiative regroupe des passionnés issus de différentes disciplines, de divers milieux de recherche et de pratique ainsi que de plusieurs secteurs d’activité, mais qui partagent une volonté: avoir accès aux produits comestibles du fleuve, les mettre en valeur, promouvoir le plaisir de les manger et soutenir la souveraineté alimentaire au Québec.

Elle invite les consommateurs à prendre 5 minutes pour consulter la liste d’établissements qui offrent des produits locaux, puis 10 minutes pour demander à leur poissonnerie locale de favoriser l’accès aux aliments du Saint-Laurent et finalement 30 minutes pour apprendre à les cuisiner.

Cette campagne de mobilisation réunit notamment Colombe St-Pierre, chef du restaurant Chez St-Pierre au Bic, et l’animateur Christian Bégin.