Urgence climatique: questions-réponses avec Ariane Burke et Julien Riel-Salvatore

L’image montre un avenir avec des technologies adaptées à la chaleur, notamment l’agriculture robotisée et les bâtiments verts, et une présence humaine minimale en raison de la nécessité d’un équipement de protection individuelle.

L’image montre un avenir avec des technologies adaptées à la chaleur, notamment l’agriculture robotisée et les bâtiments verts, et une présence humaine minimale en raison de la nécessité d’un équipement de protection individuelle.

Crédit : James McKay

En 5 secondes

À la veille de la COP26, deux anthropologues de l’UdeM discutent d’une étude qu’ils ont cosignée et qui est devenue une lecture incontournable des observateurs du climat dans le monde entier.

Alors que les experts mondiaux du climat se réuniront dans quelques jours à Glasgow, en Écosse, pour la 26e Conférence des parties (COP26) à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, une étude canado-britannique provocatrice, cosignée par deux anthropologues de l’Université de Montréal, suscite beaucoup d’intérêt partout dans le monde.

Dans l’étude dirigée par Christopher Lyon, chercheur en sciences sociales de l’environnement de l’Université McGill, Ariane Burke et Julien Riel-Salvatore, de l’UdeM, ainsi que des collègues de quatre universités britanniques affirment que, si l’Accord de Paris de 2015 est ignoré et que le réchauffement climatique n’est pas stoppé au cours de ce siècle, «la Terre sera inhospitalière pour les humains» d’ici 2500.

Ariane Burke et Julien Riel-Salvatore

Pour illustrer les projections de leur modèle climatique, les auteurs présentent des croquis de ce à quoi ressembleront certaines régions du globe d’ici là: une Amazonie sans arbres, un Midwest subtropical, un sous-continent indien où le riz est récolté par des robots sous une chaleur extrême.

L’article a été publié le 24 septembre dans Global Change Biology et a atteint un public plus large peu après grâce à un résumé paru dans The Conversation, un site d’information à but non lucratif consacré à la recherche universitaire et dont l’UdeM est partenaire.

Nous avons demandé à Mme Burke et à M. Riel-Salvatore de nous en dire plus sur les projections de l’étude et d’expliquer comment elles pourraient alimenter le débat à la COP26.

Qu’est-ce qui vous a motivés à vous projeter si loin dans le futur?

Ariane Burke: La plupart des recherches et des politiques relatives au changement climatique «à long terme» se fondent sur l’horizon de 2100 depuis des décennies. Nous nous demandions à quoi pourrait ressembler un climat plus chaud dans les siècles à venir. En d’autres termes, nous voulions avoir une meilleure idée du monde dans lequel nos enfants et petits-enfants devraient apprendre à vivre si nous ne parvenons pas à atteindre les objectifs de l’Accord de Paris.

Mais 2100 semble bien loin. Comment pouvons-nous connaître avec certitude l’évolution de l’environnement d’ici là?

Julien Riel-Salvatore: Il faut se rappeler que 2100 semblait également très lointain dans le Premier rapport d’évaluation du GIEC 1990 [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat], mais on doit maintenant se rendre compte que les enfants d’aujourd’hui pourraient encore vivre en 2100. Le choix de cette date n’a aucune base scientifique, car le climat continuera à se détériorer même après. Les évaluations qui s’arrêtent là donnent donc à tort un sentiment de finalité quant au changement climatique mondial alors qu’il ne s’agit que d’un point de repère.


Êtes-vous les premiers à proposer des projections qui vont au-delà de 2100?

AB: Bien sûr, les scientifiques savent depuis longtemps que le changement climatique se poursuivra bien au-delà de 2100, mais très peu de modèles climatiques proposent des projections sur 100 ans ou plus. Cela s’explique notamment par la complexité du système climatique et par les multiples rétroactions qui compliquent la modélisation du changement sur une période aussi longue. Dans cet article, les modélisations climatiques reposent sur des scénarios extrêmes. Nous voulons choquer les gens et les aider à imaginer ce que le changement climatique, s’il n’est pas maîtrisé aujourd’hui, pourrait signifier pour leurs enfants, leurs petits-enfants et les générations à venir. Si le changement climatique n’est pas suffisamment atténué à long terme, nous craignons que cela transforme la Terre et qu’elle devienne méconnaissable, rendant difficile, voire impossible, le maintien des lieux et des écosystèmes essentiels à notre développement et à notre survie en tant qu’espèce.

Que souhaitez-vous que les climatologues et les décideurs politiques présents à la COP26 retiennent de votre travail?

JRS: Nos résultats fournissent à d’autres chercheurs une base de travail pour la réalisation de meilleures projections du changement climatique après 2100. Ils permettent aussi aux décideurs politiques et au public de mieux comprendre l’ampleur de ses répercussions sur le climat si nous éliminons les émissions de gaz à effet de serre dès maintenant et si nous ne le faisons pas. Nous espérons que nos résultats contribueront à encourager les actions visant à atteindre zéro émission afin d’aider les personnes et les lieux vulnérables à s’adapter aux changements auxquels ils sont déjà confrontés.

Votre article a-t-il suscité beaucoup de réactions jusqu’à présent?

AB: L’article initial paru dans Global Change Biology a été résumé en anglais dans The Conversation à la fin septembre, ce qui a engendré plus d’un quart de million de vues, puis il a été traduit en français. Nous sommes très heureux que les questions soulevées dans l’article suscitent de l’intérêt, en particulier maintenant, alors que la COP26 va débuter. Nous avons utilisé notre domaine d’étude pour dépeindre des scènes de la vie future afin d’aider les décideurs et le public à comprendre les conséquences du changement climatique, mieux qu’avec les graphiques ou les chiffres qu’ils voient habituellement dans les articles et les rapports scientifiques. C’est important, et les gens semblent nous écouter.

  • 1/3 L’image montre un village autochtone traditionnel précolonial (1500 EC) en Amazonie avec un accès à la rivière et des cultures plantées dans la forêt tropicale.

    Crédit : James McKay
  • 2/3 Cette image représente un paysage actuel.

    Crédit : James McKay
  • 3/3 L’image illustre l’année 2500 et montre un paysage aride et un faible niveau d’eau résultant du déclin de la végétation, avec des installations rares ou dégradées et une activité humaine minimale.

    Crédit : James McKay
  • 1/3 Le tableau est basé sur les villes et communautés autochtones d’avant la colonisation au Kansas, avec des constructions et une agriculture diversifiée à base de maïs.

    Crédit : James McKay
  • 2/3 Le tableau représente la même région aujourd’hui, avec une monoculture de céréales et de grandes moissonneuses.

    Crédit : James McKay
  • 3/3 L'image montre l’adaptation de l’agriculture à un climat subtropical, soit chaud et humide: une agroforesterie à base de palmiers à huile et de plantes grasses des zones arides. Les cultures sont entretenues par des drones à l'aide de l'intelligence artificielle et la présence humaine est réduite.

    Crédit : James McKay
  • 1/3 L’image présente une scène dans un village rural en Inde avec plantation de riz, bétail et vie sociale.

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  • 2/3 L'image illustre une scène actuelle avec un mélange de riziculture traditionnelle et d’installations modernes qui existe dans de nombreux pays du Sud.

    Crédit : James McKay
  • 3/3 L’image montre un avenir avec des technologies adaptées à la chaleur, notamment l’agriculture robotisée et les bâtiments verts, et une présence humaine minimale en raison de la nécessité d’un équipement de protection individuelle.

    Crédit : James McKay

À propos de l’étude

L’article «Our climate projections for 2500 show an Earth that is alien to humans», par Christopher Lyon, Ariane Burke, Julien Riel-Salvatore et leurs collaborateurs, a été publié le 24 septembre 2021 dans Global Change Biology et résumé dans The Conversation le 26 septembre 2021 (en anglais) et le 18 octobre 2021 en français sous le titre «Nos projections climatiques pour l’an 2500 montrent que la Terre sera inhospitalière pour les humains». L’article a été rédigé en collaboration avec des collègues de l’Université McGill et, au Royaume-Uni, des universités de Leeds, de Sheffield, d’Oxford et York.