Les gens issus des communautés ethniques auraient moins de symptômes dépressifs au travail

Les gens en emploi issus des minorités visibles afficheraient moins de symptômes dépressifs que la population caucasienne, possiblement parce que le travail a un rôle plus positif parmi eux.

Les gens en emploi issus des minorités visibles afficheraient moins de symptômes dépressifs que la population caucasienne, possiblement parce que le travail a un rôle plus positif parmi eux.

Crédit : GETTY

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Dans sa thèse de doctorat, Christiane Kammogne a démontré que l’ethnicité semble avoir une influence déterminante sur la santé mentale liée au travail au sein de la main-d’œuvre canadienne.

Lorsque Christiane Kammogne a quitté le Cameroun après son baccalauréat en sciences de la gestion, la notion de stress au travail n’était pas un véritable enjeu chez les travailleurs. Deux ans après son arrivée en France, soit en 2011, elle a été stupéfaite de constater qu’il y avait des suicides parmi les employés de l’entreprise où elle travaillait comme conseillère en ressources humaines.

«J’arrivais d’un pays où le travail représentait une solution pour vivre et, en France, les gens mouraient de leur travail; je ne comprenais pas pourquoi. De plus, j’avais l’impression qu’il était possible de distinguer les caractéristiques culturelles des victimes», relate-t-elle.

Elle a donc décidé que sa recherche de doctorat viserait entre autres à déterminer si les traits d’identité culturelle – en particulier l’ethnicité et le statut d’immigrant – modifient la façon dont le travail est associé aux symptômes dépressifs dans la main-d’œuvre canadienne.

Sous la direction du professeur Alain Marchand, de l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal, Christiane Kammogne a analysé les données provenant des neuf cycles de l’Enquête nationale sur la santé de la population de Statistique Canada, qui s’est déroulée de 1994 à 2011. Au total, ses analyses ont porté sur 6477 personnes en emploi.

Parmi les participants, 18 % étaient issus de l’immigration et 8 % faisaient partie d’une minorité visible.

Le rôle positif du travail chez les minorités

Christiane Kammogne

Crédit : Christian Hissibini

Mme Kammogne a tenu compte de différents paramètres afin de vérifier s’il existe un lien entre les symptômes dépressifs et les traits d’identité culturelle des personnes en emploi, dont:

  • les caractéristiques personnelles (genre, âge, habitudes de vie);
  • les éléments liés au travail (surqualification, utilisation des compétences, autorité décisionnelle, soutien social, nombre d’heures travaillées, etc.);
  • les facteurs liés à la famille (statut matrimonial, nombre d’enfants, revenu du ménage, tensions familiales…).

Une fois les variables potentiellement confondantes prises en compte, les données indiquent que l’ethnicité et les facteurs relatifs au travail semblent associés de façon distincte aux symptômes dépressifs.

«Contrairement à ce qui ressort dans certaines autres études, nos résultats montrent que les personnes en emploi issues des minorités visibles rapportent significativement moins de symptômes dépressifs, comparativement aux travailleuses et travailleurs caucasiens», souligne Christiane Kammogne.

Ce résultat semble paradoxal, puisque les résultats d’analyses relèvent également que, à la différence des personnes blanches, les employées et employés issus des minorités visibles sont surqualifiés par rapport aux postes qu’ils occupent, utilisent moins leurs compétences et ont moins d’autorité décisionnelle ou d’autonomie dans l’accomplissement de leurs tâches.

«Cela s’explique possiblement par le fait que le travail a un rôle plus positif chez ces personnes, même si l’emploi qu’elles ont décroché n’est pas à la hauteur des études qu’elles ont faites et des postes plus importants auxquels elles ont pu accéder dans leur pays d’origine», soutient Mme Kammogne.

Par ailleurs, les personnes bénéficiant d’un soutien social au travail sont celles qui affichaient moins de symptômes dépressifs.

Enfin, il faut signaler que les gens issus de l’immigration qui ont pris part à l’enquête rapportaient vivre au Canada depuis en moyenne 20 ans. «Ce sont donc des immigrants de longue date qui ont eu le temps de s’adapter et d’accepter leur sort», poursuit la chercheuse associée à l’Observatoire sur la santé et le mieux-être au travail.

C’est ce qui pourrait expliquer pourquoi toutes les analyses menées auprès de personnes ayant le statut d’immigrant ont été non concluantes.

La déqualification, un enjeu sociétal

Christiane Kammogne a surtout observé que le phénomène de déqualification chez les minorités visibles perdure.

«L’enquête de Statistique Canada porte sur 18 années et, tout au long de cette période, les personnes issues de groupes ethniques n’ont pas amélioré leur sort, insiste-t-elle. Après avoir éprouvé des difficultés à trouver un emploi, ces gens ont obtenu des postes qui demandent souvent de travailler pendant de longues heures, selon des horaires irréguliers et dans des conditions défavorables.»

Les résultats auxquels est parvenue Mme Kammogne auraient pu être différents s’ils avaient reposé sur des personnes ayant immigré récemment au Canada.

«Les études indiquent que les immigrants sont généralement en bonne santé physique et mentale lorsqu’ils arrivent au Canada, mais cette santé décline au cours des cinq premières années, précise-t-elle. Leur santé mentale devient souvent moins bonne que celle de la population en général; et la déqualification est potentiellement un élément important de la dégradation de leur état.»

Christiane Kammogne conclut en disant qu’«il serait pertinent de mettre en place des interventions qui cibleraient l’amélioration des conditions de travail en fonction de l’ethnicité, et en particulier les situations de surqualification professionnelle qui semblent perdurer dans la main-d’œuvre canadienne».

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