Qui sont les agresseurs sexuels?

Crédit : Getty

En 5 secondes

Psychologue et professeur à l’École de criminologie de l’UdeM, Jean Proulx travaille à démythifier le processus de passage à l’acte des agresseurs sexuels et à trouver des façons d’éviter la récidive.

La plupart des gens qui lisent un article dans le journal rapportant le viol d’une femme ou les abus sexuels répétés sur un jeune garçon ont une réaction viscérale de dégoût et de colère.

Jean Proulx n’y fait pas exception. Mais ce professeur de l’École de criminologie de l’Université de Montréal se pose aussi des questions: qu’est-ce qui a poussé cet individu à commettre ces actes terribles? Quel était son motif? Peut-on l’empêcher de récidiver?

Il faut savoir que Jean Proulx est une référence en matière de processus de passage à l’acte des agresseurs sexuels, qu’ils soient pédophiles, violeurs ou meurtriers. Plus précisément, il étudie les liens entre le modus opérandi de l’agresseur, sa personnalité et son style de vie.

Pendant 10 ans, le chercheur a travaillé à temps plein comme psychologue à l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel auprès d’agresseurs sexuels. Encore aujourd’hui, une journée par semaine, il se rend à l’Institut pour interroger les détenus afin de comprendre la trajectoire qui les a menés à commettre leurs délits, mais surtout pour élaborer des stratégies en vue d’atténuer les facteurs de risque.

Une population hétérogène

Jean Proulx

Jean Proulx

Crédit : Capture d'écran - Institut Philippe Pinel

Quand Jean Proulx a commencé sa carrière, les équipes de recherche s’intéressaient surtout aux prédicteurs de la délinquance sexuelle, aux facteurs qui mènent aux agressions.

Mais pour le psychologue, la clé de la compréhension de ces actes résidait dans l’hétérogénéité des trajectoires qui conduisent aux agressions sexuelles. Reconnaître des sous-groupes à l’intérieur de chacun des groupes aura ainsi toujours été son projet de carrière, pour comprendre de manière beaucoup plus fine les agresseurs et leurs agressions et retracer l’histoire qui mène à commettre ces crimes.

«Certains agresseurs ont, certes, des profils dits classiques: émotions négatives, fantaisies sexuelles déviantes, distorsions cognitives, etc., explique-t-il. Mais d’autres n’ont pas d’affects négatifs, au contraire ils se perçoivent comme les meilleurs, ou n’ont aucune fantaisie; s’ils veulent une femme, ils la prennent. Il y a des agresseurs d’enfants qui ont des affects très positifs envers les enfants, ils disent être amoureux d’eux et ont des activités autres que sexuelles avec eux.»

Différents, mais semblables

Si les profils des agresseurs sexuels sont variés, tout comme leurs victimes (femmes inconnues, enfants, adolescents, conjointes, un mélange de tout), Jean Proulx affirme toutefois que tous les agresseurs sexuels ont des troubles de la personnalité.

Il a d’ailleurs publié en 2014 Pathways to Sexual Agression, un livre qui décortique les processus conduisant les hommes à agresser sexuellement des enfants ou des femmes et qui présente divers groupes et sous-groupes d’agresseurs, dont trois qui n’ont jamais été étudiés auparavant (violeurs conjugaux, agresseurs sexuels hébéphiles et agresseurs sexuels polymorphes).

L’ouvrage nous apprend par exemple que les agresseurs sexuels pédophiles ont souvent une personnalité évitante et une faible estime d’eux-mêmes. Ils se sentent rejetés par les adultes et accueillis par les enfants, qui paraissent plus accessibles et chaleureux.

Chez les agresseurs qui s’en prennent aux femmes, beaucoup sont antisociaux narcissiques ou souffrent d’un trouble de la personnalité limite, où la violence et les explosions de rage découlent d’une incapacité à contenir leurs émotions et à maîtriser leurs impulsions. Selon Jean Proulx, les agresseurs intrafamiliaux (les hommes qui agressent leurs conjointes ou ex-conjointes) sont souvent les plus violents et colériques, à la recherche d’un contrôle absolu.

Du côté des individus sadiques (ceux qui aiment torturer, mutiler), les troubles de la personnalité schizoïde et évitante sont fréquents. Le sadisme se rencontre davantage chez les meurtriers sexuels et ce sont davantage des agresseurs extrafamiliaux qu’intrafamiliaux.

Comprendre pour traiter

Si Jean Proulx travaille depuis tant d’années à comprendre ces criminels dangereux, c’est bien parce qu’il voit l’humain derrière le criminel et qu’il souhaite éviter la récidive.

«Les gens qui commettent des délits sexuels graves ont eu des difficultés dans leur vie et n’ont pas su comment les gérer, croit-il. Les délits sexuels auront été une stratégie d’adaptation pour eux, une stratégie bien évidemment inadéquate. On doit donc arriver à déterminer les facteurs de risque et à les atténuer. Par exemple, si c’est une anxiété sociale ou une colère, on va travailler sur la gestion des émotions ou faire un travail cognitif pour voir si les situations sociales sont interprétées correctement ou encore trouver des façons socialement acceptables d’exprimer sa colère.»

Une approche qui semble fonctionner, puisque sans traitement on considère que le taux de récidive chez les agresseurs sexuels est d’environ 17 %, alors qu’il se situe entre 3 et 8 % avec un accompagnement axé sur les facteurs de risque.

«Avec mes recherches et ma pratique à l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel, je suis là pour leur venir en aide. Si je les traitais comme des moins que rien, je ne les aiderais pas à aller mieux et le taux de récidive resterait de 17 %. Je dois regarder l’humain et non le délit», conclut le chercheur.

Sur le même sujet

criminologie violence psychologie