Loi sur le travail des enfants: un bon départ, mais des précisions s'imposent

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Comment améliorer l’encadrement du travail des jeunes au Québec? Deux professeures de l’UdeM font valoir leurs expertises de recherche pour proposer des pistes de solution.

Les balises promises par le projet de loi no 19, la Loi sur l’encadrement du travail des enfants, constituent un excellent premier pas vers un meilleur encadrement du travail des jeunes. Toutefois, de nombreuses zones à l’intérieur de ce cadre restent floues, alors que des données probantes issues d’études québécoises pourraient aider les décideurs à mieux légiférer sur la question.

Tel est le cœur du message porté par Véronique Dupéré et Nancy Beauregard, professeures respectivement à l’École de psychoéducation et à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal. Cotitulaires de la Chaire McConnell-Université de Montréal en mobilisation des connaissances jeunesse, les chercheuses viennent de déposer un mémoire devant la Commission de l’économie et du travail.

En plus de mettre de l’avant leurs travaux de recherche sur la transition vers l’âge adulte ainsi que sur la santé et la sécurité du travail chez les jeunes, ce mémoire donne une voix aux jeunes grâce à la collaboration de la Direction régionale de santé publique de Montréal, de la Fédération étudiante collégiale du Québec, de Force Jeunesse et du Réseau réussite Montréal.

«Nous sentions que peu de jeunes et de groupes de recherche se trouvaient autour de la table de consultation pour ce projet de loi, alors que nous menons des études directement avec les populations concernées qui peuvent éclairer la prise de décision», affirme Nancy Beauregard.

«Il est rare que la question du travail des jeunes, un phénomène qui n’est pas nouveau et qui ne disparaîtra pas, arrive sur la place publique. Nous estimons que le projet de loi no 19 présente un potentiel réel de nivellement en amont des inégalités sociales de santé qui touchent les adolescentes et adolescents sur le marché du travail. Nous avons donc saisi l’occasion pour apporter quelques précisions», renchérit Véronique Dupéré, également titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la transition à l’âge adulte.

Survol de leurs considérations principales.

Mieux comprendre la réalité des jeunes

Véronique Dupéré

Véronique Dupéré, professeure à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal

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Actuellement, le projet de loi prévoit notamment d’interdire aux employeurs de faire travailler un enfant en deçà de l’âge de 14 ans, sauf dans certains cas d’exception, en plus de limiter à 17 le nombre d’heures de travail par semaine pendant l’année scolaire.

Véronique Dupéré et Nancy Beauregard sont favorables à ces balises. Elles rappellent que les blessures physiques survenues au travail sont plus fréquentes chez les plus jeunes et qu’un nombre élevé d’heures de travail et la présence de stresseurs au travail, comme la surcharge, la pression du temps ou l’incompatibilité des horaires de travail avec les autres sphères de vie dont l’école, sont associés à davantage de détresse psychologique et de difficultés scolaires chez cette population.

Les chercheuses tiennent toutefois à préciser que le fait de limiter le nombre d’heures hebdomadaire maximal permis pourrait ne pas régler tous les problèmes liés au surinvestissement dans le travail. Elles invitent à porter une attention particulière aux jeunes en situation de vulnérabilité qui travaillent afin de subvenir à leurs besoins fondamentaux.

«En limitant le nombre d’heures que ces jeunes peuvent travailler, on pourrait les obliger à se tourner vers le travail au noir – et donc sans protection – pour assurer leurs besoins de base. Il faudra donc surveiller la situation de près et penser à des mesures de soutien pour éviter ces dérives», indique Véronique Dupéré.

Ajoutons que, si les jeunes travaillent parfois pour subvenir à leurs besoins, certains qui présentent des facteurs de vulnérabilité scolaire et psychosociale le font aussi pour apprendre et renforcer leur engagement, alors que l’école le leur permet moins.

Une étude récente menée par Éliane Thouin, alors doctorante sous la supervision de Véronique Dupéré et aujourd’hui employée du Réseau réussite Montréal, a montré que, lorsque les conditions sont favorables en matière d’intensité et de qualité du travail, celui-ci peut «favoriser le développement identitaire, puis l’insertion rapide dans un emploi correspondant aux aspirations, en plus de représenter un lieu de protection avec un mentor significatif», selon Éliane Thouin.

Formation, éducation, sensibilisation

Nancy Beauregard

Nancy Beauregard, professeure à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal

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Les jeunes travailleurs et travailleuses possèdent donc des spécificités qui leur sont propres, tant d’un point de vue développemental que sur les plans physique et psychologique. Et Véronique Dupéré et Nancy Beauregard souhaiteraient que l’ensemble des parties prenantes du monde du travail y soient sensibilisées.

À leurs yeux, il est primordial que, d’une part, les employeurs comprennent que les travailleuses et travailleurs âgés de 16 ans et moins sont une population à risque et soient au courant de leurs besoins particuliers en matière de supervision et d’encadrement.

«Il est impératif de ne pas présumer que les constats observés dans les études sur le travail des adultes s’appliquent aux adolescentes et adolescents, avance Véronique Dupéré. Par exemple, alors que l’autonomie est généralement considérée comme une caractéristique favorable en milieu de travail chez les adultes, elle peut vite devenir anxiogène pour les jeunes, chez qui un encadrement plus étroit est souvent préférable.»

D’autre part, les chercheuses considèrent que les jeunes gagneraient à mieux connaître leurs droits au travail (normes du travail, santé et sécurité du travail, droit à la réparation lors de lésion professionnelle). Elles suggèrent d’intégrer ces notions dans le curriculum scolaire obligatoire au premier cycle du secondaire afin que les élèves en aient entendu parler avant l’âge de 14 ans.

«En connaissant leurs droits et leurs recours, les jeunes se protègent. C’est une intervention populationnelle qui pourrait être très porteuse en matière de prévention», souligne Nancy Beauregard.

Bref, le mémoire déposé par Véronique Dupéré et Nancy Beauregard met en relief les enjeux complexes ciblés par le projet de loi no 19 et rappelle la pertinence d’approches scientifiques interdisciplinaires dans l’élaboration de politiques publiques.

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