Quelles identités pour les descendants de couples mixtes dont un parent est musulman?

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Les personnes nées au Québec de parents dont l’un est musulman se forgent des identités liées tant aux repères culturels de ce parent qu’à la culture québécoise.

Comment se définissent les personnes nées au Québec dont l’un des parents est musulman? Comment se combinent les différentes valeurs transmises par leurs parents et celles de la société où elles ont grandi?

Ces questions, et plusieurs autres, ont incité la chercheuse Josiane Le Gall à mener une étude qualitative sur le sujet* qui a été publiée dans un dossier thématique de la revue scientifique Social Compass. Ce dossier examine la manière dont les familles constituées de personnes musulmanes et non musulmanes à travers le monde abordent les questions d’identité et de religion au quotidien ainsi que les contraintes du contexte social dans lequel elles vivent. 

Professeure associée au Département d’anthropologie de l’Université de Montréal, Josiane Le Gall s’est appuyée dans sa recherche sur une étude plus vaste sur les identités plurielles des enfants de couples mixtes au Québec à laquelle ont pris part une centaine de personnes.

Dans le cadre de son analyse, 23 personnes de 18 à 40 ans qui ont un parent musulman ayant immigré au Québec ont ainsi été interviewées. Les parents musulmans de ces participantes et participants étaient originaires du Maroc, de Tunisie, de Turquie, du Liban, de Côte d’Ivoire, du Sénégal, de Guinée, d’Égypte, de Gambie et du Bangladesh. Dans les deux tiers des cas, ces gens n’étaient pas pratiquants.

Identité québécoise ou canadienne d’abord et avant tout

Josiane Le Gall

Josiane Le Gall, professeure associée au Département d’anthropologie de l’Université de Montréal

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Au cours des entrevues qu’elle a réalisées auprès de descendants de couples mixtes, Josiane Le Gall a repéré trois stratégies identitaires utilisées par leurs parents en matière de références culturelles, soit l’absence totale de transmission culturelle, la transmission explicite de marqueurs identitaires (transmission de la langue ou de la religion) et la simple mise en œuvre des références culturelles (la religion n’est pas activement transmise, mais il y a la présence de pratiques culturelles et religieuses à la maison).

De façon unanime, les participantes et participants ont dit s’identifier d’abord comme Québécois, et dans une moindre mesure comme Canadiens, et ce, que leur deuxième parent soit né au Québec ou non.

«Leurs influences proviennent d’abord et avant tout du lieu où ils sont nés, car c’est ici qu’ils se sentent chez eux, souligne Josiane Le Gall. C’est notamment à travers l’école et les amitiés qu’ils ont nouées que leur identité s’est le plus forgée.»

Ces personnes sont aussi majoritairement attachées à l’héritage culturel transmis par leur parent issu de l’immigration.

«Elles revendiquent une identité plurielle, qui combine les influences culturelles des deux parents, celui venu d’ailleurs et celui d’ici, ajoute Josiane Le Gall. Comme le veut une expression populaire, elles se disent 100 % mixtes.»

La langue et la religion peu ou pas transmises

La mixité culturelle dans laquelle les sujets ont baigné les a influencés à différents égards, notamment en ce qui a trait aux traditions culturelles et culinaires du pays où est né leur parent musulman, mais pour plusieurs d’entre eux la religion ainsi que la langue du parent immigré ne font que peu ou pas partie du bagage qui leur a été transmis.

Dans le cas de la langue, la majorité des personnes interrogées disent que le français – et pour quelques-unes l’anglais – était la langue parlée à la maison.

«Une fois adultes, plusieurs regrettent que leur parent ne leur ait pas appris l’arabe par exemple et entreprennent des démarches pour l’apprendre, mentionne la professeure. Ils auraient souhaité pouvoir parler cette langue, entre autres lorsqu’ils vont visiter leur parenté dans le pays d’origine du parent immigré.»

Pour ce qui est de la religion, il s’agit d’une dimension importante de l’identité pour les quelques participantes et participants dont les deux parents sont de confession musulmane et pratiquants. Les autres soulignent que, s’ils ont pris part à certains rites musulmans, ils n’ont généralement pas adhéré à cette religion ni aux autres d’ailleurs.

«Étant nés au Québec, ils expriment une certaine réticence – voire de l’indifférence – à l’égard de la religion en général», commente Josiane Le Gall.

La mixité culturelle comme richesse

La chercheuse a constaté que c’est surtout lorsqu’ils amorcent leur vie adulte que les individus ressentent davantage le besoin de s’approprier les marqueurs culturels de leur parent musulman. «À l’adolescence, ils sont plus enclins à rejeter ou à minimiser l’importance de leur culture minoritaire», observe-t-elle.

Et dans la majorité des cas, l’identification aux groupes minoritaires est surtout associée à des expériences et à un savoir acquis dans le quotidien avec leur parent immigré plutôt qu’au fait de connaître la langue, la religion ou de posséder la nationalité.

«Les identités de nos participantes et participants varient grandement, mais ils ont tous en commun de considérer leur mixité culturelle comme une grande richesse et non comme un élément problématique, conclut Josiane Le Gall. Ils rejettent d’ailleurs une définition rigide et prédéfinie de l'identité et ils concilient aisément les différentes facettes de leur identité, qui ne leur semble en rien antagoniste.» 

 

* Ont également participé à cette étude Sophie Hamisultane (École de travail social), Géraldine Mossière (Institut d’études religieuses) et Deirdre Meintel (Département d’anthropologie), de l’Université de Montréal, ainsi que Catherine Therrien (Université Al-Akhawayn au Maroc) et Maya Yampolsky (École de psychologie de l’Université Laval).

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