Plaisir sexuel chez les adolescents: des inégalités persistent entre garçons et filles
- UdeMNouvelles
Le 31 janvier 2025
- Martin LaSalle
Parmi les adolescents dont l'identité de genre correspond au genre assigné à la naissance – ou cisgenres –, les filles ont moins de chances d’atteindre l’orgasme que les garçons, selon une étude.
Dans la population adolescente cisgenre du Québec, les filles ont moins de chances d'atteindre l'orgasme que les garçons, que ce soit par la masturbation ou avec un ou une partenaire. Un constat qui rappelle les inégalités persistantes dans le plaisir sexuel entre les garçons et les filles.
C’est ce qui ressort d’une recherche réalisée auprès de 2800 jeunes âgés en moyenne de 16 ans et venant de 23 écoles secondaires réparties sur la Rive-Sud et la Rive-Nord (Montréal), la région de Québec et le Saguenay–Lac-Saint-Jean.
Publiée en décembre 2024 dans la revue Archives of Sexual Behavior, cette étude effectuée par Alice Girouard dans son doctorat en psychologie à l’Université de Montréal est la première à se pencher scientifiquement sur l'expérience de l'orgasme chez les adolescents en tenant compte de l’identité de genre et des configurations de couple.
Des écarts marqués
Les jeunes qui ont répondu au questionnaire de la doctorante formaient un groupe plutôt homogène: la majorité se disaient hétérosexuels (ou cisgenres), tandis que la diversité de genre caractérisait 1,5 % des répondants et répondantes et la diversité sexuelle 17,9 %.
Globalement, les résultats indiquent que 73 % des filles affirment avoir déjà atteint l'orgasme, que ce soit par la masturbation ou avec un ou une partenaire, comparativement à 85 % des garçons.
«Lorsqu’on applique la régression statistique, qui permet de prédire la valeur d'une variable dépendante – l’orgasme – en fonction d'une variable indépendante – le genre – tout en contrôlant d’autres variables associées telles que l’expérience sexuelle dans ce cas, on obtient un ratio de 45 %, ce qui signifie que les filles ont presque deux fois moins de chances d’atteindre l’orgasme que les garçons en se masturbant; ce ratio est de 56 % pour l’orgasme avec un ou une partenaire lors d’activités sexuelles», précise Alice Girouard, dont les travaux sont menés sous la direction de la professeure Sophie Bergeron, du Département de psychologie de l’UdeM.
L'étude révèle également que la configuration amoureuse joue un rôle important. Les filles en couple avec des garçons sont particulièrement désavantagées comparativement aux filles en couple avec une autre fille et aux garçons en couple avec une fille. «Chez les adolescents, non seulement le genre a une incidence, mais aussi celui de la personne avec qui ils sont en relation», dit Alice Girouard.
Le poids des scénarios traditionnels
Selon elle, cette disparité entre le plaisir sexuel au féminin et celui au masculin s'explique par le «modèle biopsychosocial de la santé sexuelle» et donc en partie par un manque de connaissances anatomiques et la persistance de tabous.
«La littérature scientifique sur le sujet nous laisse croire que les filles cisgenres en savent encore peu sur leur anatomie et sur la possibilité d'atteindre l'orgasme, soit parce qu'elles en parlent peu ou parce que ça ne leur est pas enseigné, ou encore parce que la masturbation pourrait susciter un sentiment de honte», ajoute-t-elle en indiquant que le tout restera à valider lors d’études futures.
Dans ses travaux, Alice Girouard souligne que la persistance de cette disparité pourrait en outre s'expliquer par ce que la recherche appelle les scripts sexuels traditionnels.
«Dans la théorie des scripts sexuels, on mentionne l’existence du script sexuel traditionnel, où les filles seraient les gardiennes de la sexualité, note-t-elle. Elles seraient responsables de retenir ou de laisser aller la flamme masculine et devraient rechercher la sexualité pour favoriser l’intimité émotionnelle et non le plaisir. Selon ce script traditionnel, la pénétration vaginale aurait une importance primordiale et l'orgasme des garçons cisgenres signalerait généralement la fin de l’activité sexuelle.»
Vers une éducation sexuelle plus inclusive
Le choix du thème de ce projet de recherche repose sur le fait que la plupart des études sur la sexualité des adolescents portent sur les risques liés à la pénétration vaginale au sein d’une relation hétérosexuelle.
«Nous souhaitions avoir un portrait qui tiendrait compte de la diversité des comportements sexuels des adolescents et des configurations de couple, sachant que, selon les données de 2021 de Statistique Canada, 30 % des jeunes disent être issus de la diversité de genre – une donnée qui a doublé de 2018 à 2021», conclut Alice Girouard.
C’est pourquoi elle estime que son étude montre l'importance d'une éducation sexuelle plus complète et positive qui aborderait notamment l'anatomie féminine, le plaisir sexuel et l’égalité dans le couple afin de déconstruire les doubles standards. Elle met aussi en lumière la nécessité d’élaborer des programmes d'éducation sexuelle plus inclusifs et mieux adaptés à la diversité des expériences adolescentes.
À propos de cette étude
L’article «Orgasm and Sexual Behavior Among Adolescents: Differences Across Genders and Dyad Configurations» a été publié le 16 décembre 2024 dans la revue Archives of Sexual Behavior. Il fait partie de la thèse de doctorat d’Alice Girouard, rédigée sous la direction de la professeure Sophie Bergeron, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les relations intimes et le bien-être sexuel et directrice du Centre de recherche interdisciplinaire sur les problèmes conjugaux et les agressions sexuelles. L’étude a aussi été menée en collaboration avec Jacinthe Dion, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la violence sexuelle chez les jeunes vulnérables de l’Université du Québec à Trois-Rivières.