Johanne Pelletier veut préserver notre planète en la surveillant de l’espace

En 5 secondes La nouvelle professeure adjointe du Département de géographie Johanne Pelletier est spécialisée dans la télédétection et l’étude des impacts environnementaux des activités humaines.
Johanne Pelletier

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Les nouveaux profs sont arrivés! Article 56 / 67

«Ma meilleure amie habitait près d’un lac, en pleine forêt. On passait des heures dehors, pieds nus, à explorer les sentiers, à nous baigner dans l’eau fraîche. Ces moments-là m’ont façonnée. J’y ai développé un lien profond avec la nature», se souvient Johanne Pelletier. De ces étés passés dans les sous-bois québécois naît alors une curiosité insatiable. Johanne Pelletier veut comprendre comment préserver ces écosystèmes précieux. Enfant, elle se sentait déjà concernée par les questions environnementales et était convaincue que la science pouvait offrir des réponses. 

Aujourd’hui professeure adjointe de géographie à l’Université de Montréal, elle cherche à comprendre dans ses travaux les effets des activités humaines, directes ou indirectes, sur les écosystèmes forestiers et agricoles. Elle s’intéresse notamment aux changements d’utilisation et de couverture des terres dans le but d’atténuer les changements climatiques et de s’y adapter. 

L’appel du monde

Très jeune, Johanne Pelletier est curieuse de savoir comment vivent les gens ailleurs. Au cégep, elle participe à un projet de solidarité internationale avec Liaisonneuve et s’envole pour le Nicaragua. Elle y découvre la réalité quotidienne des habitants, les défis sociaux, économiques et environnementaux auxquels ils font face. «Ce projet m’a ouvert les yeux sur le lien entre environnement et conditions sociales. Souvent, dans les pays en développement, le développement économique dépend énormément de l’exploitation des ressources naturelles», indique-t-elle. 

Elle entreprend un baccalauréat en biologie et multiplie les expériences de terrain environnementales: au Vietnam, elle étudie les répercussions de l’aquaculture de la crevette sur la dégradation des mangroves; en Abitibi, elle participe à l’installation de placettes permanentes pour suivre l’évolution des forêts; et sur l’île Bylot, un sanctuaire d’oiseaux au-delà du cercle arctique, elle surveille la végétation. «Vivre dans un camp isolé, au cœur de paysages magnifiques, était incroyable. Je faisais le suivi de la végétation dans les milieux humides et mésiques [dont les conditions ne sont ni très humides ni très sèches]», raconte-t-elle. 

Ses champs d’intérêt se précisent: Johanne Pelletier veut comprendre les problèmes environnementaux, mais sous un angle interdisciplinaire. Elle ne sépare jamais l’écologie des questions sociales et économiques. 

Réduire les émissions issues de la déforestation

C’est dans cette logique qu’elle entame un doctorat à l’Université McGill et au Smithsonian Tropical Research Institute, au Panama, sur un sujet à la fois scientifique et politique: les émissions dues au changement d’usage des sols. 

«J’ai travaillé sur le mécanisme REDD – réduction des émissions issues de la déforestation et de la dégradation des forêts. C’est un outil de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques qui vise à offrir des incitatifs financiers aux pays en développement s’ils réussissent à réduire la déforestation», explique Johanne Pelletier. 

Dans la jungle panaméenne, elle côtoie les communautés autochtones ngöbes, habitants d’aires protégées qui pratiquent différentes activités agricoles. Elle mesure les stocks de carbone et étudie comment mieux concilier la préservation de la forêt et leurs moyens de subsistance. «Travailler avec les Ngöbes a été un immense apprentissage, relate-t-elle. Comprendre leur relation avec la nature, leurs traditions m’a permis de voir que les solutions doivent respecter les droits des populations locales et être adaptées à leur réalité.» 

Mais diminuer la déforestation s’avère moins simple que ce qu'on pourrait croire. «Il y a des défis de gouvernance, des besoins économiques et des compromis entre différents objectifs de réduction de la pauvreté et de conservation. Je crois tout de même qu’il est possible de trouver des solutions concrètes en vue d’atténuer les changements climatiques et de s’y adapter, de réduire la pauvreté et de conserver les milieux naturels en passant par une meilleure gestion environnementale», mentionne-t-elle. 

Des satellites au service de la forêt

Pour Johanne Pelletier, une des clés réside dans la télédétection, c’est-à-dire l’utilisation de satellites pour mieux observer la Terre. «La télédétection est un outil extraordinaire, dit-elle. Elle permet de voir les changements d’usage du sol, comme lorsqu’une forêt est remplacée par des cultures. C’est précieux pour comprendre l’effet des activités humaines et suivre l’efficacité des solutions.» 

Son expertise la conduit au Woodwell Climate Research Center, aux États-Unis, où elle se lance dans un projet financé par la NASA sur les flux de carbone en Afrique. Elle travaille en République démocratique du Congo (RDC) et en Zambie, encore une fois à l’intersection de l’environnement et du social. 

«En RDC, on travaillait sur un projet REDD, mais on a rapidement constaté que diminuer la déforestation n’est pas évident. Les pressions sociales, économiques, la gouvernance font en sorte qu’il n’y a pas de solutions simples à cet enjeu environnemental», souligne la chercheuse. 

Lauréate d’une bourse postdoctorale TNC NatureNet, elle collabore ensuite à l'Université Cornell avec des économistes agricoles et du développement pour analyser le potentiel d’autres solutions au déboisement. 

«En Zambie, j'ai voulu savoir si les subventions du gouvernement destinées à fournir des fertilisants et des semences améliorées à de petits producteurs agricoles contribuaient au déboisement ou le diminuaient. Je souhaitais connaître l'effet de ces subventions sur le couvert forestier. Et j'ai découvert que l'utilisation d'intrants agricoles par les petits fermiers réduisait la perte forestière. Des solutions existent», note-t-elle.  

Car souvent, la déforestation découle d’une spirale économique: des sols épuisés, des rendements agricoles en chute et la nécessité d’avoir de nouvelles terres cultivables, donc de couper la forêt. En soutenant les agriculteurs, on peut briser ce cercle vicieux. 

«Ces solutions doivent être étudiées localement, car elles dépendent toujours du contexte, remarque-t-elle. Mais c’est là que la télédétection est utile: elle permet de mesurer les effets de telles solutions, même sur de vastes territoires.» 

Vers des solutions à grande échelle

Johanne Pelletier se joint ensuite comme chercheuse au groupe permanent qui réalise des évaluations d’impacts environnementaux au sein du Consultative Group on International Agricultural Research. Là encore, elle met la télédétection au service du développement durable. En Éthiopie, elle analyse l’incidence d’un programme gouvernemental de distribution de semences améliorées aux petits exploitants agricoles. «Le but était d’augmenter les rendements agricoles et de réduire la pauvreté. Grâce à la télédétection, on pouvait vérifier si ces innovations donnaient réellement des résultats», dit-elle. 

Aujourd’hui, Johanne Pelletier est convaincue que la télédétection, alliée à l’intelligence artificielle, pourrait être un levier majeur face aux changements climatiques. «Je pense que la télédétection est vraiment une technologie d’avenir. Elle peut jouer un rôle clé dans la transition vers un monde plus durable en nous aidant autant à diminuer les émissions qu’à mieux nous adapter aux changements climatiques, explique-t-elle. Et c’est surtout en la combinant avec l’intelligence artificielle que nous pouvons espérer améliorer concrètement la gestion de l’environnement. Mais pour que cette association fonctionne, il faut encore élaborer les bons algorithmes et réussir à tirer tout le potentiel des données de télédétection. C’est d’ailleurs là-dessus que je travaille. On pense parfois que tout cela existe déjà, mais en réalité, il reste encore beaucoup à construire pour que ces outils transforment vraiment notre manière d’agir face aux enjeux environnementaux et climatiques.» 

Elle espère que ses recherches pourront déboucher sur des solutions concrètes à grande échelle: «Mon rêve, c’est qu’on applique à grande échelle des solutions face aux changements climatiques: restauration des forêts, conservation des milieux humides, agriculture durable. Ce sont des approches connues, mais qui ne sont pas encore implantées massivement. Si l’on veut réussir la transition écologique, il faudrait passer à une autre échelle.» 

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