Mathématiques et profession infirmière ne sont pas deux univers que nous associons spontanément. Pourtant, pour Li-Anne Audet, nouvellement professeure adjointe à la Faculté des sciences infirmières (FSI) de l’Université de Montréal, les statistiques font partie intégrante de son quotidien.
«Les bases de données, c’est quelque chose que nous voyons souvent dans le domaine de l’épidémiologie ou de l’informatique par exemple, mais qui est moins exploré en sciences infirmières, explique la chercheuse. Ça semble moins complémentaire avec la pratique clinique, pourtant, les utiliser nous permet de comprendre les soins infirmiers à un niveau plus systémique ou encore à un niveau macroscopique.»
L’humain au cœur des données
Si, plus jeune, elle se dirigeait vers des études en génie biomédical, un stage d’observation dans un hôpital, organisé par son école secondaire, a changé sa trajectoire. Cette journée passée aux côtés d’un infirmier praticien spécialisé (IPS) a amené Li-Anne Audet, conquise par l’aspect humain de la profession, à faire un diplôme d’études collégiales en soins infirmiers, puis un baccalauréat en sciences infirmières.
Mais son esprit mathématique ne l’a jamais vraiment quittée. Quand elle a découvert, dans son parcours à la maîtrise, que les bases de données pouvaient mettre en lumière l’incidence du travail des IPS sur la qualité des soins en milieu hospitalier, la jeune chercheuse a eu une révélation. «Je me suis rendu compte que c’était possible d’approfondir, sur le plan statistique, les défis de la pratique infirmière. J’ai eu un coup de cœur à l’idée de pouvoir combiner les soins infirmiers et tout le côté statistique que j’avais étudié des années plus tôt et pour lequel j’avais une certaine facilité», précise-t-elle.
Elle entreprend alors des études doctorales et postdoctorales qui la poussent à explorer davantage le rôle des pratiques infirmières avancées. Elle parvient, grâce aux bases de données, à démontrer les effets de l’embauche d’IPS, ou encore d’infirmières cliniciennes spécialisées ou infirmiers cliniciens spécialisés, dans les hôpitaux et les organisations de santé. Réduction des coûts, meilleure adhésion aux pratiques exemplaires, diminution des risques de complications postopératoires: les avantages sont nombreux. «Mes recherches ont révélé que des rôles de pratique infirmière avancée dans une équipe avaient un effet significatif non seulement sur les personnes soignées, mais aussi sur les équipes et les organisations, indique-t-elle. Présentement, ces rôles sont assumés de différentes façons selon les organisations, mais la question demeure: comment les attribuer pour que les patients en bénéficient pleinement?»
La recherche avec une touche de compassion
Si Li-Anne Audet se concentre désormais sur l’enseignement et la recherche, le fait qu'elle a travaillé dans des centres hospitaliers jusqu’à son doctorat est, selon elle, un avantage, puisque cela lui permet de mieux comprendre les réalités des personnes faisant l’objet de ses recherches. Elle prend par exemple toujours le temps de déterminer, avant d’implanter une nouvelle idée dans une unité et d’entreprendre une série d’entrevues, si le personnel aura ou non du temps à lui accorder.
Même chose lorsqu’elle désire faire remplir des formulaires. «Si j’arrive avec une feuille contenant 200 points, je sais pertinemment que personne n’aura le temps de la lire, mentionne-t-elle. J’essaie donc de garder cette sensibilité, cette connexion clinique, et de me dire qu’une nouvelle intervention géniale, mais que personne n’aura le temps d’appliquer, ça ne servira à rien. L’infirmière qui travaille de nuit, l’infirmier qui travaille le dimanche, l’IPS qui travaille à Noël…: il faut les entendre et écouter leur réalité pour prendre des décisions qui vont finir par les concerner.»
Quand la voix infirmière s’invite dans la prise de décision
Lorsque nous pensons à la profession infirmière, une des premières images qui nous vient en tête est celle des soins directs à la communauté. Toutefois, les différents projets de Li-Anne Audet l’ont également amenée à constater que de plus en plus d’infirmières et infirmiers étaient appelés à avoir des rôles de décision. «Oui, il y a celles et ceux qui prennent les signes vitaux et donnent les médicaments, mais il y en a beaucoup dont les tâches ne sont pas nécessairement visibles, comme des conseillères et conseillers cadres ou des infirmières et infirmiers gestionnaires», observe-t-elle.
Selon la chercheuse, faire participer ces personnes aux discussions permet non seulement de mieux comprendre le système en place, mais également d’avoir un accès direct aux gens qui instaureront les changements proposés par les données recueillies. «Cette façon de faire permet aux infirmières et infirmiers de dire que, non, ils ne sont pas seulement au chevet des patients, mais qu’ils participent aussi aux décisions, au même titre que la direction médicale. C’est une entité en soi, le corps infirmier, et il est assurément en première ligne du changement», conclut-elle.