Le Département de science politique de l'Université de Montréal accueille Vincent Pouliot, un chercheur reconnu internationalement pour ses travaux novateurs sur la diplomatie et les relations internationales. Titulaire de la Chaire d'excellence en études internationales de la Faculté des arts et des sciences, le nouveau professeur apporte une expertise acquise au fil de ses 17 années passées à l’Université McGill et une approche théorique qui a marqué sa discipline.
Vincent Pouliot: décoder les coulisses de la diplomatie mondiale
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Les nouveaux profs sont arrivés! Article 61 / 67
Un parcours façonné par la curiosité du monde
Le parcours de formation de Vincent Pouliot commence par un détour inattendu. Originaire de la région de Québec, il s’inscrit à l’âge de 19 ans en communication et politique à l'Université de Montréal avec l'ambition de devenir journaliste, mais il bifurque rapidement vers le tout nouveau baccalauréat pluridisciplinaire en études internationales.
«Je n'avais pas prévu ça», confie-t-il en évoquant sa découverte progressive de la recherche grâce à deux mentors déterminants, soit les professeurs Panayotis Soldatos et Jean-Philippe Thérien. Tous deux l'embauchent d’ailleurs comme assistant de recherche dès le baccalauréat, aiguisant son intérêt pour l'analyse des rapports de force internationaux.
À 21 ans, il part à Bordeaux faire un diplôme d'études approfondies, puis entreprend un doctorat à l’Université de Toronto, tel que le lui suggère Jean-Philippe Thérien.
Sa trajectoire témoigne d'une «soif d'apprendre et de comprendre le vaste monde et la diversité culturelle», comme il le dit lui-même. Aujourd'hui, il reprend symboliquement le poste d'un de ses anciens mentors parti à la retraite.
La théorie de la pratique: révolutionner l'analyse internationale
Vincent Pouliot s'est fait connaître comme pionnier du «tournant pratique» en relations internationales, une approche théorique qui révolutionne la compréhension des structures politiques complexes.
Plutôt que de se limiter aux analyses globales, cette méthode s'intéresse aux praticiens qui, au quotidien, mettent en œuvre la guerre, la politique et la diplomatie.
Sa thèse de doctorat porte d’ailleurs sur cette approche. Intrigué par ce qui semblait être un processus de pacification entre la Russie et l'OTAN dans les années 2000, il apprend le russe et mène des entrevues à Moscou, Bruxelles, Paris, Berlin et Londres pour comprendre comment d'anciens ennemis peuvent transformer leurs relations.
Ses recherches révèlent les blocages liés aux «luttes symboliques» autour du rang et du rôle de chacune des parties, un phénomène qui éclaire encore les tensions actuelles.
Ses travaux sur la diplomatie multilatérale ont donné naissance à son livre L'ordre hiérarchique international, qui explore le paradoxe suivant: à la table des négociations, tous les États sont théoriquement égaux, mais certains ambassadeurs ont manifestement plus de poids que d'autres.
Vincent Pouliot démontre dans son ouvrage que ces différences s'expliquent non seulement par les ressources matérielles, mais aussi par des «luttes de rang» subtiles basées sur le savoir-faire diplomatique, les liens sociaux et le «sens de la place» de chacun.
Cette analyse met en lumière comment le Canada, par exemple, «se colle aux États-Unis en connaissant son rang, tandis que d'autres pays peinent à comprendre leur position dans la hiérarchie informelle», souligne-t-il. Ces dynamiques façonnent discrètement mais solidement la marche du monde, à l’abri des projecteurs médiatiques.
Contractualisation et diversité linguistique
Vincent Pouliot mène actuellement deux projets de recherche sur l'évolution de la gouvernance mondiale.
Le premier porte sur la «contractualisation» de la fonction publique internationale depuis 1990. Le professeur étudie la façon dont les organisations internationales remplacent progressivement leurs employés permanents par des consultants et des contrats à court terme, transformant ainsi les dynamiques de responsabilité et de légitimité.
Son second projet concerne le changement du paysage linguistique mondial des deux derniers siècles. De l'idéal «espérantiste» de la Société des Nations à la domination actuelle de l'anglais, il analyse les mécanismes qui ont façonné les langues de la diplomatie. «Ce projet est particulièrement pertinent à l'ère de l'intelligence artificielle et de la traduction automatisée, qui révolutionnent notre rapport aux langues», soulève-t-il.
Un regard lucide sur l'époque
Face aux turbulences internationales d’aujourd’hui, Vincent Pouliot adopte une perspective historique nuancée.
«S’il est vrai que nous traversons une période difficile, un peu anxiogène, ce n'est pas la première crise majeure que nous vivons depuis 1945, rappelle-t-il. Les structures internationales, bien que fragilisées, ont démontré leur résilience par rapport aux ébranlements du 11 septembre 2001 ou d'autres secousses géopolitiques.»
Il conclut: «En relations internationales, les conflits, les désaccords, les rapports de force et même la violence font partie de la réalité politique et n'annoncent pas la fin du monde. Il faut tenter de voir notre époque dans une perspective historique, la comparer avec d'autres épisodes pour garder un œil lucide et non défaitiste, car des solutions émergeront comme elles l’ont toujours fait par le passé.»