Alex Bellemare: la littérature comme fabrique du monde

En 5 secondes Le nouveau professeur du Département des littératures de langue française Alex Bellemare explore les liens entre fiction et savoir au moyen des corpus relégués aux oubliettes de l’histoire littéraire.
Alex Bellemare

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Les nouveaux profs sont arrivés! Article 59 / 66

«La littérature m’est apparue comme la discipline par excellence pour penser le savoir dans toute sa complexité. Elle rassemble, à elle seule, les grands discours philosophiques, historiques, politiques et sociaux. Et c’est peut-être au 18e siècle qu’elle joue ce rôle avec le plus de force, devenant une véritable discipline, capable de réfléchir le monde dans toutes ses dimensions», affirme Alex Bellemare. C’est cette pluralité disciplinaire propre à ce siècle qui l’a séduit lors de ses études universitaires. Son regard s’est structuré progressivement au fil de son baccalauréat en lettres et sciences humaines à l’Université de Montréal.

Quand la marge éclaire les contours du canon

Alex Bellemare se rappelle avoir longtemps perçu les siècles anciens comme lointains et dépourvus de pertinence pour notre époque. Cette perception s’est toutefois transformée sous l’influence marquante du professeur du Département des littératures de langue française Antoine Soare: «C’est grâce à lui que j’ai aimé l’Ancien Régime. Pendant longtemps, j’ai pensé que les 17e et 18e siècles étaient des siècles poussiéreux, inintéressants, coupés de notre réalité. Il m’a fait découvrir un monde qui permettait de jeter des ponts entre l’avant et le maintenant», se souvient-il.

Cette découverte le pousse à entreprendre une maîtrise sous la direction de ce même professeur: il commence alors son exploration des corpus relégués aux oubliettes de l’histoire littéraire, composés de textes d’écrivaines et écrivains qualifiés de mineurs et souvent marginalisés. Ce choix n’est pas anodin, car il lui permet de réfléchir aux mécanismes qui mènent à établir les canons, mais surtout d’interroger des voix oubliées qui favorisent la compréhension des tensions culturelles et idéologiques d’une époque en y exposant une pluralité de discours. Au cœur de son mémoire de maîtrise, Alex Bellemare propose une relecture du Roman comique, de Paul Scarron, qu’il aborde comme une œuvre subversive et critique à l’égard du classicisme triomphant, et met en lumière un autre visage de la littérature du 17e siècle. En analysant les représentations du rire et les tensions esthétiques qui traversent le roman, il y souligne une poétique de l’insubordination, profondément polysémique, marquée par l’ambivalence et l’ironie.

Cette perspective le conduit au doctorat, réalisé à l’Université de Montréal en cotutelle avec l’Université Sorbonne Nouvelle, où il explore un corpus de récits de voyages imaginaires du 18e siècle, une forme de fiction utopique. Ces textes, souvent écrits à la première personne, mettent en scène des individus qui quittent l’Europe pour découvrir des civilisations idéales, égalitaristes, communistes avant l’heure, antimonarchiques ou antireligieuses. Ces récits, trop souvent réduits à leur portée philosophique, déploient pourtant des formes narratives riches et complexes. Ils illustrent bien, selon Alex Bellemare, que la fiction ne se contente pas de divertir ou d’illustrer des paradigmes. Elle constitue un véritable mode de production du savoir, capable d’ouvrir des espaces de réflexion inédits sur les structures sociales et politiques de nos sociétés.

S’il défend avec rigueur l’intérêt des siècles anciens, Alex Bellemare insiste sur leur actualité brûlante. Il rappelle l’importance des débats sur l’environnement et l'invention du discours économique au Siècle des Lumières, en écho direct aux enjeux contemporains. Il souligne par exemple l’actualité du discours économique des physiocrates au 18e siècle. Ces penseurs valorisaient l’agriculture et voyaient la nature comme un espace à préserver. «La physiocratie percevait l’agriculture comme seule source réelle de richesse en raison de son lien direct avec la nature, conçue comme un ordre harmonieux auquel l’économie devait se conformer. L'environnement était vraiment considéré dans une espèce de rapport d'homogénéité ou d'osmose. Ne pas trop déranger les habitats naturels était essentiel pour préserver cette mère nourricière qu'est la nature, précise-t-il. C’est un discours qui résonne encore aujourd’hui, notamment dans des courants contemporains comme l’écoféminisme, preuve de continuités historiques souvent oubliées.»

Dès l’automne, il donnera le cours de méthodes critiques, qu’il souhaite concret et vivant en mariant la théorie aux textes. Au trimestre d’hiver, il proposera un cours sur la littérature du 18e siècle à travers un jeu de miroirs entre figures canoniques et auteures oubliées. Il prévoit notamment faire dialoguer Les lettres persanes, de Montesquieu, avec Les lettres d’une Péruvienne, de Françoise de Graffigny.

Après plusieurs années d’enseignement au collégial, Alex Bellemare redécouvre le rythme de la recherche universitaire. Il travaille notamment sur un projet lié aux fictions architecturales au 18e siècle, où les bâtiments sont pensés à travers des récits littéraires. Encore une façon de démontrer que la fiction ne se limite pas au divertissement, qu’elle permet d’imaginer d’autres mondes, d’autres formes de savoir et d’autres façons d’habiter le monde.

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