Une étude démontre la nécessité de mieux surveiller les contaminants dans le lait maternel
- Salle de presse
Le 23 février 2022
- UdeMNouvelles
Une équipe canado-américaine a estimé les concentrations de substances perfluoroalkyliques et polyfluoroalkyliques dans le lait maternel et soulève la nécessité de poursuivre les recherches.
Les substances perfluoroalkyliques et polyfluoroalkyliques (PFAS) constituent une grande famille de produits chimiques, organiques et synthétiques, qui ne sont pas présents naturellement dans l'environnement. Ils sont largement utilisés dans des produits de la vie courante comme les revêtements antiadhésifs pour la cuisson des aliments, les tissus hydrofuges ou résistants aux taches et les produits de soins personnels. Ils sont souvent qualifiés de «produits chimiques éternels», car leur composition chimique leur confère une persistance dans l'environnement extrêmement longue. Bien que la production des PFAS les plus inquiétants ait été interdite ou volontairement abandonnée dans de nombreux pays, ils ont été remplacés par d'autres PFAS dont les effets sur l'environnement et la santé sont incertains.
Malgré plus de 20 ans de biosurveillance des PFAS dans l'urine et le sérum humains, les scientifiques et les médecins n'ont toujours qu'une connaissance très limitée des concentrations de ces produits chimiques dans le lait maternel des femmes. Dans une étude qui paraît aujourd'hui dans Environmental Health Perspectives, un groupe de recherche canado-américain a analysé les quelques études qui ont été publiées sur le sujet et il est parvenu à des conclusions surprenantes.
«Comme cela arrive souvent dans le domaine de la toxicologie, ce sont les communautés les plus exposées à ces produits chimiques – les personnes vivant ou travaillant à proximité d'aéroports, de bases militaires, de décharges et d'industries produisant des PFAS – et les plus préoccupées par leurs effets possibles sur les nourrissons allaités et leurs familles qui ont demandé l'aide des scientifiques», souligne le seul coauteur canadien de l'étude, Marc-André Verner, expert en toxicologie et professeur à l'École de santé publique de l'Université de Montréal.
Petites tailles d'échantillons et modélisation des concentrations dans le lait maternel
Pour lancer son étude, l'équipe a d'abord effectué une recherche documentaire et n'a trouvé que trois articles scientifiques aux États-Unis et au Canada contenant des mesures réelles des concentrations de PFAS dans le lait maternel. Ces données comprenaient 129 échantillons provenant de trois États américains et 13 échantillons provenant d'une province canadienne.
Pour pallier la rareté des données, les chercheurs ont mis au point un modèle utilisant les ratios de concentrations entre le sérum maternel et le lait maternel publiés dans la littérature scientifique en vue d'estimer les concentrations dans le lait maternel de quatre PFAS dans la population générale et dans des populations particulièrement exposées: l'acide perfluorooctanoïque (PFOA), le sulfonate de perfluorooctane (PFOS), le sulfonate de perfluorohexane (PFHxS) et l'acide perfluorononanoïque (PFNA). Ils ont ensuite comparé les concentrations mesurées et estimées dans le lait maternel avec des valeurs de dépistage pour l'eau potable chez les enfants établies par la U.S. Agency for Toxic Substances and Disease Registry.
Les auteurs de l’étude ont constaté que les concentrations moyennes mesurées et estimées de PFOA et de PFOS dans le lait maternel dépassaient les valeurs de dépistage, parfois de plus de deux ordres de grandeur. En revanche, pour le PFHxS et le PFNA, la plupart des concentrations moyennes mesurées ou estimées dans le lait maternel étaient inférieures aux valeurs de dépistage de l'eau potable pour les enfants.
«Avant tout, nous voulons nous assurer que les femmes et leurs professionnels de la santé disposent des informations dont ils ont besoin pour prendre des décisions importantes, le cas échéant, déclare Suzanne Fenton, auteure principale de l’étude et toxicologue au National Institute of Environmental Health Sciences, qui fait partie des U.S. National Institutes of Health. Nous savons très peu de choses sur les concentrations de PFAS dans le lait maternel. Notre approche a fourni des concentrations estimées de PFAS dans le lait maternel, qui sont aussi représentatives pour les femmes américaines et canadiennes à l’échelle nationale, ainsi que pour les femmes vivant dans certaines régions des États-Unis qui sont contaminées par des PFAS.»
Les valeurs de dépistage
Les valeurs de dépistage sont utilisées par les responsables de la santé publique pour prendre des décisions quant aux expositions qui pourraient nécessiter une évaluation plus approfondie du risque. Une exposition à des substances toxiques au-dessous des valeurs de dépistage ne devraient pas avoir d’effets néfastes.
«Il n'existe actuellement aucune valeur de dépistage pour les PFAS dans le lait maternel, précise Marc-André Verner. Sans ces valeurs, même si les concentrations de PFAS dans le lait maternel dépassent les valeurs fixées pour l'eau potable, il est impossible de prédire si des effets nocifs sur la santé en résulteront.»
Allaiter ou ne pas allaiter?
Les membres de l'équipe de recherche soulignent que les avantages de l'allaitement maternel pour la santé du nourrisson sont bien établis: «Notre étude est une analyse exploratoire, comportant plusieurs limites en raison de la rareté des données, note la coauteure principale Judy LaKind, consultante en santé environnementale et ancienne présidente de l'International Society of Exposure Science. Ce que notre équipe désire mettre en évidence, ce sont les lacunes importantes en matière de données sur les PFAS dans le lait maternel et qu'il est urgent d'intensifier la recherche et la surveillance.»
Nécessité d'un programme national de surveillance du lait maternel
Afin de fournir des conseils crédibles aux femmes enceintes ou allaitantes, les scientifiques, les professionnels de la santé et les conseillères en allaitement ont besoin d'information. Les chercheurs pensent qu'un programme national de surveillance du lait maternel est nécessaire à long terme pour les obtenir et les diffuser.
En outre, davantage de données et de ressources seraient nécessaires pour soutenir la prise de décision concernant les risques et les avantages de l'allaitement. Ces informations seraient également essentielles pour les agences de santé publique afin de formuler des recommandations aux individus, aux cliniciens et aux communautés.
Des études visant à mesurer des PFAS dans des échantillons de lait et de sérum prélevés au même moment chez des femmes allaitantes seraient d’une valeur inestimable pour raffiner l’évaluation de l’exposition des nourrissons et valider l’analyse présentée dans l’article: «Il est grand temps que nous ayons une meilleure compréhension du transfert des produits chimiques de l'environnement vers le lait maternel, une source exceptionnelle d'alimentation des nourrissons», déclarent les auteurs de l’étude.
D’ailleurs, plusieurs agences gouvernementales – dont la U.S. Environmental Protection Agency et Santé Canada – révisent actuellement leur analyse du risque pour plusieurs de ces contaminants. D’autre part, un comité des National Academies of Sciences Engineering Medicine, auquel siège Marc-André Verner, se penche sur l’élaboration de lignes directrices pour les médecins traitant des patients exposés aux PFAS.
Plusieurs auteurs de l’étude, dont la Dre Fenton et le professeur Verner, viennent de lancer de nouvelles études visant à mesurer les concentrations de PFAS dans le lait maternel en collaboration avec le professeur Sébastien Sauvé, de l’Université de Montréal. Les chercheurs mesureront notamment un large éventail de PFAS dans des échantillons provenant de banques de lait maternel.
À propos des PFAS
Les PFAS constituent une vaste classe de plus de 11 000 composés structurellement différents, dont beaucoup sont utilisés dans l'industrie et dans les produits de consommation depuis les années 50. Les PFAS n'existent pas à l'état naturel, mais sont répandus et très persistants dans l'environnement. Ils ont été détectés dans l'eau potable, la poussière et les sources alimentaires dans le monde entier. De nombreux PFAS ont été mesurés dans le sérum humain et ont été signalés pour la première fois dans l'enquête nationale sur la santé et la nutrition menée en 1999-2000 par les U.S. Centers for Disease Control and Prevention. Selon la U.S. Environmental Protection Agency et le Toxic Substances Control Act, on trouve plus de 600 types de PFAS dans le commerce américain.
À propos de l'étude
Judy S. LaKind, Marc-André Verner et leurs collaborateurs ont publié «Current breast milk PFAS levels in the US and Canada: After all this time why don’t we know more?» dans Environmental Health Perspectives le 23 février 2022.
Marc-André Verner est lauréat d’une bourse de chercheurs-boursiers J2 du Fonds de recherche du Québec – Santé.
Relations avec les médias
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Julie Gazaille
Université de Montréal
Tél: 514 343-6796