Communication d’urgence
11 h 36 | 31 août

«Pawatik»: traverser les rapides de l’histoire anicinabe

En 5 secondes Le livre «Pawatik: les Anicinabek de Lac Simon racontent leur histoire» est le fruit d’une recherche collaborative entre la communauté anicinabe et des anthropologues.

Dans la série

Les Premiers Peuples à l'UdeM Article 14 / 16

Dans la langue anicinabe, pawatik signifie «rapide», cette portion d’un cours d’eau où le courant s’accélère, où l’eau se brise et tourbillonne avant de retrouver son calme. C’est cette image qu’ont choisie les Anicinabek de Lac-Simon, en Abitibi, pour raconter leur histoire: un récit qui traverse les eaux tranquilles du mode de vie nomade, affronte les remous de la colonisation et regarde vers un futur où l’eau redevient claire. 

Fruit de plusieurs années de travail, le livre Pawatik: les Anicinabek de Lac Simon racontent leur histoire est porté par le groupe Miaji, qui réunit des membres de la communauté ainsi que des anthropologues allochtones. Ensemble, ils ont recueilli la mémoire de la communauté, exploré les archives locales, fouillé les albums de photographies pour produire ce récit. 

 

Une recherche collaborative au service de la mémoire anicinabe

Ce projet de recherche universitaire collaboratif a été subventionné par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. «Dès le départ, nous voulions éviter de produire un récit extérieur, explique Marie-Pierre Bousquet, professeure d’anthropologie à l’Université de Montréal et membre du groupe Miaji. Ce n’est pas une étude sur la culture anicinabe: c’est une histoire racontée de l’intérieur, pour la communauté et par la communauté.» 

En tant que chercheuse, ce qui l’intéressait particulièrement, c’était de voir comment les Anicinabek concevaient l’histoire et comment ils avaient envie de la raconter: «À partir de quelles sources, selon quelle trame narrative et avec quels éléments? On connaît bien, dans la littérature scientifique, leur conception de l’histoire dans un cadre purement oral. Mais aujourd’hui, on est dans un contexte d’écriture et les jeunes vont à l’école depuis plus de 50 ans. Comment pouvait-on respecter leurs façons de voir traditionnelles dans ce nouveau contexte? Qu’est-ce qu’ils voulaient raconter? Et qu’est-ce qu’ils n’avaient pas envie de livrer?» mentionne-t-elle. 

Des origines nomades

Le livre s’ouvre sur la vie traditionnelle des Anicinabek, marquée par le nomadisme. Les familles se déplaçaient au rythme des saisons, pratiquant la chasse, la pêche, la cueillette et le piégeage. Les territoires de chasse étaient gérés collectivement, sans idée de propriété, dans un rapport respectueux aux cycles naturels. Chaque déplacement, chaque campement faisait partie d’un cycle plus vaste, en lien direct avec la terre, l’eau et les animaux. 

«La vie sur le territoire et les grands déplacements étaient rythmés par la nature. Les Anicinabek ont six saisons: pipon (hiver), sigon (pré-printemps), minokamin (printemps), nipin (été), takwagin (automne) et pidji pipon (pré-hiver). L’hiver était la saison de la trappe. Les hommes s’y consacraient intensivement en petits groupes ou seuls. Ils pouvaient partir une journée ou plusieurs jours ou semaines et revenir au camp où les enfants, les femmes et les aînés restaient», apprend-on ainsi dans cet ouvrage. 

Le livre rappelle aussi la toponymie anicinabe, où les lieux sont nommés selon leurs caractéristiques physiques ou spirituelles, ce qui crée une cartographie ancrée dans l’observation et la mémoire collective. «Lac Simon, Abitibi, Québec, Val-d’Or, ces noms ne sont pas les nôtres. Ils ne sont pas dans notre langue et ne traduisent pas notre rapport au territoire. Ils découlent de la colonisation. La ville de Val-d’Or était autrefois nommée Asikiwach, qui signifie “cache du canard”», peut-on lire. 

Des bouleversements de la colonisation à aujourd’hui

Puis vient le temps des bouleversements. La colonisation européenne entraîne une sédentarisation forcée, accélérée au début du 20e siècle par la création de la bande de Lac-Simon. Les familles, autrefois dispersées sur le territoire, s’installent d’abord autour du lac et, au fil des décennies, sur le plateau où s’élève aujourd’hui le village.

Ces changements ne se limitent pas à l’espace. L’imposition de noms de famille, la scolarisation obligatoire et le passage par les pensionnats bouleversent la langue, l’organisation familiale et les repères culturels. «Les récits des aînés montrent à quel point ces transformations ont été rapides», souligne Marie-Pierre Bousquet. 

Le livre raconte ensuite l’évolution de la communauté dans la deuxième moitié du 20e siècle: construction de maisons modernes, création d’une école locale, arrivée de différents services comme la police ou les services sociaux.  

Savoirs et rituels

Pawatik plonge également dans les dimensions culturelles et spirituelles de la vie anicinabe. On découvre différents moyens utilisés par les Anicinabek pour se guérir. «Les écorces des différents arbres ont toutes des qualités distinctes. Elles peuvent être bouillies ou encore mises sur le corps pour apaiser des douleurs musculaires. La gomme d’arbres peut aussi servir. Certaines roches pouvaient également être mises à bouillir ou encore enveloppées dans de la babiche», relate l’ouvrage. 

On découvre différentes cérémonies de guérison comme celle de la tente tremblante (kozabagega), organisée par exemple pour savoir si des personnes qui se trouvaient ailleurs sur le territoire allaient bien ou avaient besoin d’aide. «La préparation prenait plusieurs jours. Le chaman montait au sommet d’un pin blanc, l’arbre le plus haut de la forêt, et il y restait plusieurs jours sans manger en préparation de ce rituel. Cela servait à aller chercher du pouvoir et des visions. Il fallait aussi préparer le territoire et la tente, nous apprend le récit. L’endroit devait être calme, sans chiens aux alentours, sinon les esprits ne viendraient pas. La tente dans laquelle l’officiant entrait pour le rituel était composée de plusieurs pôles faits de branches d’arbres, avec une toile sur la structure. Une fois à l’intérieur, il chantait pour avoir des visions. Il entrait ainsi en contact avec différents esprits.» 

Un livre pour les générations futures

Pawatik se veut un outil de transmission. Ce livre thématique s’adresse principalement aux jeunes, pour qu’ils connaissent leur passé et l’importance du territoire anicinabe, mais également aux aînés pour qu’ils puissent perpétuer leur culture. Il s’adresse aussi à tous les non-Autochtones qui peuvent devenir leurs alliés. Ce projet s’inscrit dans une démarche plus vaste du groupe Miaji, qui a déjà réalisé des expositions sur la culture anicinabe ainsi que la bande dessinée Odibi: voyage dans l’histoire anicinabe de Lac Simon. Tous ces projets ont le même objectif: donner une portée et une reconnaissance aux savoirs et à la mémoire de la communauté. 

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